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La chasse au mammouth est ouverte

La nouvelle initiative contre la redevance radio-TV pose la question de la réforme de la SSR. Ne reste plus qu’à distinguer les formules incantatoires des vrais arguments.

Dégraisser le mammouth, comme l’appellent ceux qui n’aiment pas trop la SSR. Ce n’est pas la première tentative. Il avait été question, d’abord, de lui faire carrément la peau, au gros bestiau. Après No Billag, initiative qui réclamait la suppression de la redevance radio-TV, et rejetée à 72% en 2018, voilà donc que l’UDC, accompagné des Jeunes radicaux et de l’USAM, recharge la carabine.

En diminuant quelque peu la charge, puisqu’il n’est plus question que de faire passer l’addition pour tous les ménages de 335 à 200 francs.

Cette nouvelle initiative a été déposée munie de 128’000 signatures, et se voit portée par des arguments qui ne manquent pas d’un certain poids. Comme celui mis en avant par Céline Amaudruz, la vice-présidente de l’UDC: «Il faut s’interroger sur la nécessité pour la SSR d’avoir 17 chaînes de radio et sept de télévision.»

Ou encore le fait que «la Suisse a la plus haute redevance TV du monde». Certes, mais compte tenu du fait que les habitants de ce pays disposent aussi des plus hauts revenus de ce même monde, ou quasi, le montant de la taxe pourrait ne pas sembler particulièrement exagéré.

Sauf, comme le relève assez justement le conseiller national PLR Christian Wasserfallen, que les citoyens «pourraient utiliser l’argent épargné pour leur consommation individuelle des médias, que ce soit pour d’autres plateformes ou contenus comme le sport».

Sans parler du fait qu’en période d’inflation une baisse de la redevance ne serait remarquée que par les plus démunis, argument qui devrait intéresser une gauche pourtant viscéralement attachée à cette taxe érigée en principe universel, vendue en incontestable impératif catégorique.

On est là au cœur du problème: un abonnement obligatoire et identique pour tous semble en 2023, face aux habitudes de consommation médiatique, et au fait que l’écrasante majorité des chaînes soient en mains privées, très anachronique. C’est l’idée même de liberté individuelle qui est mise à mal.

Avec aussi le sentiment désagréable que les Suisses sont pris pour des créatures aussi raisonnables que de petits enfants et qu’il serait juste et bon qu’on leur dicte ce qu’ils doivent regarder et payer.

En face, les adversaires de l’initiative font valoir que la suppression de la redevance mettrait en péril le débat démocratique: «Nous vivons dans un monde où la manipulation de l’information est devenue beaucoup plus facile, d’où la nécessité de sources crédibles comme celles du service public.»

L’argument parait présenter de nombreuses faiblesses: on ne voit pas d’abord pourquoi des médias d’État seraient automatiquement et forcément plus objectifs que leurs homologues privés. Certes, ces derniers défendront toujours des intérêts particuliers – les leurs, seulement les leurs, et on est assez grand pour le savoir. Tandis que des structures étatiques en défendront de plus étendus, sous la fluctuante appellation «d’intérêt général».

Il ne semblerait pas faux de penser que la diversité des chaînes, dont aucune ne serait avantagée par une situation d’obligation, permettrait d’avantage aux citoyennes et citoyens de comparer les arguments, les positions, et de se faire une opinion en adultes libres et responsables.

Quant à l’attachement viscéral des chaînes publiques à l’objectivité et à la vérité, il suffit de voir la télévision d’État russe menacer quotidiennement de vitrifier à l’arme nucléaire tout ce qui est anti-russe à son goût pour se convaincre que ce principe est loin d’être gravé dans le marbre.

En Suisse, on n’en est évidemment pas là. Mais parce que l’État est démocratique plutôt que parce que les chaînes d’État seraient vertueuses en soi.

Ne tenons pas trop compte, enfin, des arguments voulant que les chaînes d’État contribueraient «à la cohésion nationale», ou que moins de redevance ce serait «moins de Suisse». Ils relèvent surtout de l’incantation.

Reste que les Suisses – et il faudrait être de mauvaise foi pour le nier –, dans leur majorité, comme l’a démontré l’écrasante défaite de No Billag, sont encore très attachés à la SSR.

On pourrait, à cet égard, être presque d’accord avec le conseiller national PLR Olivier Feller estimant que l’initiative n’empoigne peut-être pas le problème par le bon bout: «Si nous voulons réformer la SSR, c’est en réfléchissant d’abord à ses priorités sur les prestations de service public, et ensuite en adaptant le budget en conséquence, et non en faisant l’inverse.»

Ce qui est sûr, c’est que si l’initiative est acceptée, les revenus de la SSR seront divisés par deux. Ce qui ne parait pas insurmontable pour assurer le minimum nécessaire de service public.