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Little big man

L’actualité montre que si l’on peut commencer à feuilletonner sur la succession d’Alain Berset, le Fribourgeois n’en reste pas moins à la manœuvre et à la tête d’un pays qui continue à refuser toute aide militaire à l’Ukraine.

Le départ annoncé du grand homme a été donc chaudement commenté. On a sorti les encensoirs, et on les a agités avec un bel enthousiasme.

On a salué surtout l’incontestable maîtrise d’Alain Berset et sa forte autorité lors de la crise du covid, qui a contribué à la sérénité générale et souligné d’autant mieux l’inanité des reproches de dictature sanitaire ou des mouvements anti-vax.

Vantée aussi fut la haute tenue de ses prestations sur la scène internationale lors de ses deux années de présidence, au point qu’on en soit à lui prédire une très prochaine et importante carrière onusienne. On a souligné, enfin, cet exploit rarissime dans la vie d’un conseiller fédéral: faire passer en votation populaire une réforme de l’AVS, même si sur ce coup, la majorité des femmes, contraintes de turbiner une année de plus, ne lui dit pas merci.

On a, à juste titre, minimisé les grotesques et insignifiantes frasques de sa vie privée.

Quelques bémols, bien sûr, ont été discrètement soupirés. Comme sur le dossier européen, des positions pas très différentes de celles d’un militant UDC de base. Ou encore, dans l’affaire ukrainienne, un jusqu’au-boutisme à défendre la neutralité dans son interprétation la plus stricte, là aussi en concordance avec la position des nationalistes les plus ultra.

Concernant ce dernier point, l’actualité vient de montrer que si l’on peut déjà feuilletonner sur la succession, Alain Berset est bien toujours au pouvoir et à la manœuvre. Le Conseil fédéral vient en effet de refuser, une fois de plus, une livraison de matériel militaire à l’Ukraine martyrisée. En l’occurrence 96 vieux chars Léopard que l’entreprise Ruag entendait revendre à son fabricant allemand pour réexpédition vers Kiev – opération financée par les Pays-Bas. Un refus qui s’ajoute à plusieurs autres où l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne se sont vus opposer un niet confédéral à l’envoi d’armes ou de munitions suisses à destination de l’Ukraine.

Or, il est de notoriété quasi publique que ce refus d’aider l’Ukraine repose sur une majorité de quatre contre trois. Les pacifistes neutres et bêlants sont connus: Alain Berset et sa camarade de parti Elisabeth Baume-Schneider, contre l’avis pourtant de la majorité du PS, et les deux soldats Rösti et Parmelin, membres de cette milice pro-poutinienne qu’a toujours été, et que demeure l’UDC, malgré la barbarie de l’invasion russe.

Pour justifier cet énième refus, le Conseil fédéral a expliqué que la vente de ces chars n’était pas possible sur la base du droit – argument très étriqué, et à peu près fallacieux selon de notables expertises juridiques.

Alain Berset n’est certes qu’un des membres de la bande des quatre, mais comme président de la Confédération, c’est lui qui est chargé de porter la mauvaise parole, exercice dans lequel il a déjà fait plus que le strict minimum. En mars dernier, le grand homme se disait ainsi «très préoccupé par le climat guerrier qui règne actuellement un peu partout dans le monde, y compris en Suisse», et dénonçait ceux qui se laissent «emporter par l’ivresse de la guerre».

Des propos filandreux qui font involontairement mais objectivement le jeu de l’agresseur russe, et qui contrastent avec la clarté des positions de la majorité des parlementaires, hormis l’UDC et les Verts, unis sur cette affaire dans la même petitesse de vue.

Ainsi le vice-président du PS Samuel Bendahan: «Ce qui prime pour la neutralité, c’est le respect du droit international, et de ne pas traiter l’agressé et l’agresseur de la même façon». Ou le sénateur PLR Olivier Français: «J’ai de moins en moins d’états d’âme avec la neutralité stricte, quand on voit les événements et les atrocités en Ukraine.»

Cette neutralité stricte, en tout cas, déçoit fortement l’ensemble du camp occidental mais ne satisfait pas pour autant la Russie, qui considère que la Suisse «n’est plus un état neutre». Bref, du perdant-perdant en matière de relations internationales.

Président d’une Suisse qui refuse toute aide militaire à l’Ukraine mais entend apporter un secours humanitaire aux civils ukrainiens laissés volontairement sans défense, ou mieux encore, souhaite donner une «assurance de guerre» aux investisseurs privés désireux de participer à la reconstruction d’une Ukraine livrée à elle-même, le grand homme, sauf rebondissement, sortira par la petite porte.