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La politique des pétards mouillés

La Suisse ne peut, et ne veut pas livrer des munitions à l’Ukraine. La faute aux progressistes, mais ce à la grande joie de ceux qui le sont beaucoup moins.

La Suisse a beau être classée par la Russie dans la liste des pays hostiles, elle a beau claironner sa volonté de se rapprocher de l’OTAN sans adhérer évidemment, elle a beau prétendre avoir rangé sa fameuse neutralité aux rayons des accessoires obsolètes, -ou du moins l’avoir fortement adaptée à la situation et multiplié les signes de soutien à l’Ukraine et d’alignement sur les sanctions de l’UE-, elle a beau geler les avoirs des proches du Kremlin, et son président de la Confédération Ignazio Cassis a beau avoir participé en personne à une manifestation de rue pro-Kiev et s’entretenir de temps à autre avec le président Zelinsky, dans la réalité et à l’épreuve des faits, rien ou presque n’a changé.

La Suisse ne fait rien et n’a jamais été aussi neutre. Militairement du moins, ce qui est l’essentiel en période de guerre. Pire, non seulement elle ne fait rien, mais elle ne peut rien faire. C’est ce que révèle l’affaire des munitions suisses dont les Allemands voudraient équiper les chars Guépard qu’ils entendent livrer à l’Ukraine. Comme on a l’a vu, la Suisse ne veut pas, la Suisse ne peut pas. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a mis son veto. La faute à une législation qui interdit la réexportation de matériel militaire suisse par un pays tiers, qui plus est vers un pays en guerre.

On se trouve là devant un cas typique, presque caricatural, où les meilleures intentions du monde, agrémentées d’une solide pincée d’hypocrisie –produire des armes mais veiller à ce qu’elles ne soient pas utilisées- aboutit à son contraire: faire le jeu d’une puissance agressante, d’une dictature de plus en plus cynique, ce que la Russie devient chaque jour en plus, sur la scène intérieure.

Cette législation a été voulue souvent par les plus progressistes des forces politiques suisses -le centre et la gauche-, pour lesquelles «matériel de guerre» est synonyme de «mal». Cette logique obtuse aboutit aujourd’hui de facto à ce que la Suisse considère sur le terrain que Moscou ou Kiev, c’est pareil. Qu’envahisseurs ou envahis cela se vaut. Que la démocratie en péril ne mérite pas d’être défendue contre les assauts sanglants de l’autocratie. Cela aboutit aussi au refus de prendre en compte, très concrètement que si néo-nazis il y a aujourd’hui, ils ne sont pas en Ukraine mais au cœur de la Russie. Autant fabriquer plutôt des pétards mouillés.

Le paradoxe est que cette position de neutralité militaire absolue, voulue par les progressistes mais valant soutien muet aux menées malfaisantes du poutinisme belliqueux, est aujourd’hui surtout défendue par la force la moins progressiste du pays, l’UDC.

C’est ainsi que le président du Centre, Gerhard Pfister après avoir suggéré qu’il y avait sûrement moyen de contourner la législation et de permettre que des munitions suisses viennent, même indirectement, en aide à l’Ukraine, s’est attiré les foudres du conseiller national UDC Jean-Luc Addor: «Les mêmes qui ont encore durci les conditions sur le matériel de guerre veulent maintenant exporter. C’est quand même un monde. C’est précisément dans l’hypothèse d’une guerre qu’on prévoit des dispositions pour les exportations. De qui se moque-t-on?»

La question pourrait être assez facilement retournée au député valaisan et à son parti. Comme Jean-Luc Addor le reconnait lui-même en creux dans la phrase ci-dessus, l’UDC est par principe plutôt hostile aux restrictions de l’exportation de matériel de guerre. On peut donc penser que ce qui gêne tellement nos fiers nationalistes aujourd’hui, c’est au bénéfice de qui ces exportations-là se feraient. À savoir l’Ukraine démocratique.

C’est d’autant plus probable que depuis le début de l’agression russe, les pontes de l’UDC ont eu toutes les peines du monde à condamner ouvertement l’agresseur et ont campé toujours sur la même ligne: une neutralité la plus stricte possible, Poutine restant pour eux ce qu’il a toujours été, un homme selon leur goût.

L’UDC a sans doute trop souvent et trop vite été caricaturée en parti d’extrême droite, en mouvance fasciste, parce que partisane d’une politique migratoire très restrictive. Ce qui n’est pas en soi, quand c’est solidement et rationnellement argumenté, un marqueur d’extrême droite, comme les sociaux-démocrates au pouvoir au Danemark l’ont démontré ces derniers mois.

Mais cela fait partie des nombreuses et désolantes révélations que l’on doit à cette invasion russe de l’Ukraine: l’un des quatre partis gouvernementaux suisses a un problème avec la démocratie.

C’est ainsi que, créée par diverses personnalités politiques et civiles, l’association #StandUp4Democracy vient de lancer un appel intitulé «Levons-nous pour la démocratie. Car elle ne va pas de soi». Les présidents de tous les partis représentés au parlement l’ont signé. Sauf un. Devinez lequel.