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Censurer la censure

Le coup de force de militants empêchant un professeur de s’exprimer à l’Université de Genève, car suspecté de transphobie, est un peu plus qu’anecdotique. Sauf à penser que la liberté d’expression le soit.

Il y a ceux qui se battent pour la liberté et  ceux qui braillent contre. Les premiers sont en Ukraine, les autres à l’Université de Genève. Le coup de force de quelques étudiants et militants LGBT pour empêcher la tenue d’une conférence sous prétexte de transphobie supposée du conférencier et de l’ouvrage qu’il venait présenter, peut sembler n’avoir qu’un aspect grotesque et ridicule qu’il suffirait de traiter par le mépris.

On voit mal en effet, au premier abord,  quelle autre attitude opposer et quelle réponse donner à une argumentation qui se résume à de la vocifération, du genre «Ton livre, on ne l’a pas lu, c’est de la merde!»

Sauf que cette censure est parvenue à ses fins: le professeur Eric Marty, de l’Université de Paris Diderot n’a pas pu s’exprimer. Et ce n’est pas que l’œuvre d’un quarteron d’activistes décérébrés et impubères. Elle s’inscrit dans un mouvement général d’atteinte à la liberté de parole et de débats, très fréquent dans les universités américaines et depuis peu sur les campus européens.

A cet acte grossier de censure – imposée par des moyens physiques, empoignades, insultes, crachats, vacarme-, la Conférence universitaire des associations d’étudiants a donné son aval. Nous en sommes là: en 2022 en Suisse, les attaques contre la liberté d’expression sont principalement le fait de la jeunesse la plus éduquée, pour ne pas dire la plus nantie.

Certes, les types en uniformes qui brûlaient des livres en 1933 dans les universités allemandes n’étaient pas très vieux non plus, si l’on en croit les images d’archives, et eux non plus ne les avaient pas lu, ces bouquins jetés dans le brasier de leur inculture et de leur fanatisme. Eux aussi trouvaient que c’était de la merde. Ce n’est pas vraiment une consolation.

L’Institution a certes vigoureusement réagi: «L’Université est un lieu de dialogue où peuvent s’affronter différentes écoles de pensée, nous ne sommes pas dans une logique de rétorsion ni d’exclusion… Il est hors de question que nos professeurs doivent se soumettre à une forme d’autocensure.»

Un enfant comprendrait en effet que ce qui fait qu’un discours peut être entendu, ce n’est pas la nature de son contenu, mais le fait qu’il s’agisse d’un discours, d’un raisonnement articulé et étayé, avec lequel on peut ne pas être d’accord, sans que cela donne à quiconque le droit de bâillonner l’orateur. On a évidemment le droit absolu de ne pas lire un livre, on même le droit d’en penser pis que pendre sans l’avoir lu, mais on n’a pas le droit – d’où l’aurait-on, sauf à se prendre pour Dieu ou Goebbels-, d’en empêcher de force la diffusion et la discussion.

De la même façon, le même enfant comprendrait que la censure est une lâcheté, une régression non pas du fait de ce qui est censuré, mais du seul fait de censurer. Peu importe ce que pense et écrit le professeur Eric Marty. Ce qui importe c’est qu’il puisse le penser et l’écrire. Si l’on juge ces pensées et ces écrits abominables, il suffit d’expliquer pourquoi, il suffit de le démontrer, par l’argumentation et le raisonnement. Ce qui est un peu plus fatiguant, certes, que de taper sur des casseroles pour étouffer la parole qui déplait.

Notons enfin que ceux qui se battent pour la liberté en Ukraine le font contre un régime russe qui pratique depuis des années la censure. Sauf que cette censure, appuyée par des lois notamment sur la protection de la jeunesse et votées à l’unanimité par la Douma, ciblent plutôt les écrits et les propos transphiles que transphobes. Mais avec la même force argumentative. En bon russe: «diérimo!» Autrement dit: c’est de la merde!