Le référendum contre la loi sur le cinéma se fait à fronts renversés. Avec des progressistes qui défendent le patriotisme et des patriotes qui crachent dans la soupe locale.
Il faut bien que jeunesse se passe. Vous savez, toute cette fougue, cheveux au vent, agitée et portée par de si beaux et si sains idéaux: tous citoyens du monde, dans un refus joyeux et décomplexé de toute frontière, de toutes directives et semonces patriarcales prétendant imposer et dicter des façons de vivre et de penser surannées. Liberté, liberté, j’écris ton nom.
Sauf que dans l’affaire qui nous intéresse, ces jeunesses frondeuses, voyant loin, voyant large, voyant haut, sans œillères nationales ni patriotisme buté, ce sont celles du PLR, de l’UDC et des Verts libéraux, accompagnées, l’honneur progressiste est sauf, par les Pirates.
En cause, une modification de la loi sur le cinéma élaborée par l’Office fédéral de la culture et s’inspirant largement d’une directive européenne. L’idée est d’obliger les plateformes de vidéo à la demande, Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et compagnie, de participer au financement des films et séries suisses, en plus d’un quota de diffusion de films européens.
Et ce, histoire sans doute de traiter ces acteurs-là comme le sont les historiques chaînes nationales de TV -publiques et privées-, contraintes depuis longtemps de participer au financement du cinéma national.
Comme les pays de l’Union européenne, la Suisse laisse le choix aux structures concernées (les grands groupes américains mais aussi des diffuseurs privés suisses ou les chaînes étrangères proposant des fenêtres publicitaires en Suisse): investir un pourcentage de leurs recettes dans la création nationale ou payer une taxe. Le pourcentage a été fixé par les Chambres à 4%. Certains pays européens se contentent de 1%, d’autres comme la France vont jusqu’à 20%.
Et c’est là que la jeunesse folle monte aux barricades, l’arme acérée du référendum à la main. Avec un argument retors: via les nombreux soutiens publics, fédéraux ou cantonaux, pour un montant estimé à 120 millions par année, le consommateur contribuable finance déjà, plus ou moins contraint et forcé, le cinéma suisse. Il serait donc injuste qu’il le finance une deuxième fois par une hausse de ses abonnements à divers plateformes que provoquerait cette modification de loi appelée d’ailleurs déjà «loi Netflix».
Quant aux quotas de films européens, l’insolent président des Jeunes libéraux-radicaux suisses, Matthias Müller, le qualifie de «paternalisme pur et simple». Son homologue des Jeunes Vert’libéraux, Virginie Cavalli enfonce le même clou parlant d’ «une politique protectionniste, eurocentrée, qui traduit un repli sur soi».
À l’inverse, Alain Berset, en soutien de la loi, paraît soudain très empesé, très ancien monde: «Aujourd’hui, l’argent récolté en Suisse va servir des productions étrangères. Nous voulons qu’il n’y ait pas que les autres pays à soutenir leur tissu économique et leur création locale.»
Comme si le cinéma et les séries ne représentaient pas la quintessence du supranational. Comme si en cent ans d’histoire, le septième art n’avait pas démontré que pour être de qualité il avait besoin d’abord, et absolument, de liberté et très éventuellement de subventions.
C’est le paradoxe de cette loi Netflix, qui voit des milieux habituellement les plus hostiles au patriotisme redécouvrir tout à coup un vif intérêt à la couleur des drapeaux et surtout aux aides sonnantes qui vont avec.
Par chance les principaux acteurs concernés sont américains et du genre GAFAM. On peut donc cacher sous de valeureuses intentions -l’anti-américanisme de quelque nature qu’il soit étant toujours considéré comme valeureux-, des velléités essentiellement corporatistes et bassement intéressées.
À l’inverse on pourra aussi s’amuser de voir une jeunesse UDC dénigrer soudain sans vergogne le made in Switzerland, en reprochant à «l’État nounou» de cajoler un cinéma local, «de niche, n’intéressant que certains amateurs».
C’est tout le sel de ce référendum sur lequel nous nous prononcerons le 15 mai et qui ressemble de plus en plus à du grand cinéma à contre-emploi.