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Un climat défavorable au climat

Le PS et les Verts vont lancer une initiative en faveur d’un fonds climatique. Une urgence sans doute, mais freinée depuis deux ans par une actualité plus directement dramatique.

Ce n’est pas de chance. Pendant deux ans, une épidémie a occupé les têtes, les médias, les pouvoirs publics. La place à peine laissée libre, voici une guerre à nos portes qui occupe, rebelote, les têtes, les médias, les pouvoirs publics. Le grand sujet qui avait occupé, avant ces deux mornes épisodes, les têtes, les médias, les pouvoirs publics, se retrouve à nouveau relégué au rang de priorité secondaire. On veut parler bien sûr du réchauffement climatique.

C’est dans ce contexte difficile que les délégués des Verts réunis en assemblée viennent d’approuver l’idée de lancer avec le PS une initiative populaire visant à créer un fonds pour le climat. Un fonds qui n’aurait rien d’une aumône puisqu’il s’agirait pour la Confédération de consacrer en 0,5 et 1% du PIB à la noble cause, soit entre 3,7 et 7 milliards de francs chaque année. Histoire d’accélérer la décarbonisation du pays par des investissements massifs.

On peut penser ce que l’on veut de cette initiative – par exemple que ce n’est peut-être pas le moment de claquer tant d’argent, après que la crise sanitaire a notablement rincé les caisses publiques, à l’heure aussi d’un afflux massif de réfugiés provoqué par la guerre et à celle où une augmentation des dépenses militaires ne semble pas une aberration. Il parait pourtant peu sérieux de soutenir que ce fonds pour le climat soit du grand luxe.

Moins en raison de l’impératif prétendument catégorique qu’il y aurait à décarboner tout azimut et atteindre «un bilan climatique positif», que simplement pour une question vitale d’approvisionnement énergétique. Les Verts ont beau convoquer la guerre et clamer que le conflit en Ukraine, et la dépendance de la Suisse aux hydrocarbures russes, sont «l’occasion de prendre un tournant énergétique», l’urgence est ailleurs.

La Suisse en effet n’a pas attendu l’invasion de l’Ukraine pour acter le renoncement aux énergies fossiles, mais aussi pour prendre un retard très sérieux s’agissant des deux principales énergies de substitution voulues par la Confédération, à savoir le solaire et l’éolien. Retard rendu encore plus dramatique avec la sortie du nucléaire.

Prenons l’éolien. Le plan de la Confédération est de produire 4,3 TWh d’électricité éolienne d’ici 2050. Ce qui ne représenterait déjà que 7% de la consommation électrique totale. Aujourd’hui on en est à … 0,13%. Par comparaison, l’Autriche voisine compte 1300 éoliennes, et la Suisse…42. Les causes de ces performances misérables semblent à peu près identifiées, comme l’explique dans Heidi News Rolf Wüstenhagen, directeur de l’Institut d’économie et d’environnement à l’Université de Saint-Gall: «Les procédures d’autorisation durent jusqu’à 20 ans en Suisse, contre deux à cinq ans chez nos voisins. Les conflits se jouent souvent entre les droits d’une poignée d’individus et notre capacité à sécuriser l’approvisionnement énergétique de notre pays».

Le tableau n’est pas plus brillant, si l’on peut dire, pour le solaire. L’objectif officiel de la Confédération est de produire 34 TWh en 2050, ce qui équivaudrait à installer 1500 mégawatts (MW) par an. Or le rythme actuel est de 300 à 400 MW, avec certes une pointe à 600 en 2021. Loin tout de même des prévisions.

Là aussi les raisons sont identifiées, d’ordre essentiellement administratif. Les obligations cantonales par exemple d’installer des panneaux solaires, quand elles existent, ne concernent que les bâtiments neufs, soit le 1 % du bâti. Un seul canton a osé élargir cette obligation à toutes les constructions- Bâle-Ville. Mais Patrimoine Suisse s’oppose déjà à cette mesure. Enfin, les propriétaires immobiliers, affirme Swissolar, l’association des professionnels de l’énergie solaire, ne joueraient que moyennement le jeu, se contentant souvent d’installations minimales. Et impossible de compter sur le gros des troupes, la Suisse étant avant tout un pays de locataires (70% de la population).

De quoi craindre que ce qui va manquer, davantage que les milliards d’un fonds pour le climat, c’est un élan climatique, autrement dit des volontés politiques mais aussi individuelles. Et avec tout ce qui occupe en ce moment les têtes, les médias, les pouvoirs publics, ce n’est pas gagné.