Certains cadres de l’UDC, soupçonnés de soutien à la Russie, appellent la Suisse à plus de neutralité. Même s’il reste plus facile de critiquer Cassis à Berne que Poutine à Moscou.
C’est bien d’abord le satrape actuel de toutes les Russies qui en a parlé. La cinquième colonne! Frissonnante métaphore qui ne rajeunit personne et sert à désigner, comme on sait, l’ennemi de l’intérieur. Selon désormais un binôme en vogue dans la province de Moscou: traîtres ou patriotes. Il faut choisir, sur l’air joyeusement cadencé de «ou bien ou bien».
Trêve de sarcasmes, surtout qu’à bien y regarder, chacun devrait d’abord balayer devant la sienne, de cinquième colonne. Même si, s’agissant de la Suisse, l’exercice peut s’avérer un peu complexe, puisque si l’on veut vraiment en trouver une, de cinquième colonne, les premiers boucs à tête d’émissaires qui viennent à l’esprit seraient précisément les patriotes. Les patriotes autoproclamés s’entend. À savoir les têtes pensantes et penchant à l’est de l’UDC. Bref nous voilà aux prises avec une catégorie bien embarrassante et non cataloguée: le traître-patriote.
Bien sûr, la main sur le cœur, le président de l’UDC Marco Chiesa jure que sa formation condamne «clairement» la guerre menée en Ukraine par la Russie poutinienne. Mais c’est pour ajouter aussitôt qu’en «reprenant aveuglément les sanctions de l’Union européenne, le Conseil fédéral a malheureusement sapé la crédibilité de la Suisse en tant qu’Etat neutre.»
On peut certes regretter le joli temps où la neutralité suisse consistait à laisser aimablement passer sur son territoire les trains circulant entre l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, tout en continuant à commercer vigoureusement avec l’une comme avec l’autre, on peut, mais on n’est pas obligé.
Marco Chiesa s’indigne aussi qu’on ait pu interpréter les déclarations des conseillers nationaux UDC Roger Köppel et Andreas Glarner comme un soutien au président russe. On avait en réalité mal compris ces deux hautes figures russophiles. Il ne s’agissait pas de «comprendre» Poutine, mais de «l’analyser et l’évaluer». Parler, comme il a été fait ici et là, d’une forme de soutien ne serait donc, selon Chiesa «qu’insinuations malveillantes».
Voyons un peu. Andreas Glarner a dit et écrit depuis le début de l’invasion russe, que l’Occident était «coresponsable du conflit», que le président ukrainien Volodymyr Zelensky «prolongeait la guerre» et que ladite guerre ne pouvait être terminée «qu’avec des concessions massives de l’Ukraine». Il s’agit peut-être là d’une «évaluation», mais alors très compréhensive.
Quant à Roger Köppel, il ajoute désormais à l’admiration qu’il avait toujours porté dans sa Weltwoche pour le nationaliste musclé en poste au Kremlin, un début de grande trouille: «Nous devons sortir des sanctions, nous devons cesser de prendre parti dans la guerre économique mondiale contre la Russie. Les Russes commencent à attaquer nos entreprises.»
C’est d’ailleurs en rendant publique une information confidentielle du DFAE – la perquisition et les rapines menées à Moscou par les services secrets russes dans les locaux d’une entreprise horlogère suisse bien connue – que le bon Roger se trouve désormais sous enquête du Ministère public de la Confédération, soupçonné de violation de secret de fonction. Cinquième colonne, quand tu nous tiens…
Enfin, Marco Chiesa tacle sévèrement le président de la Confédération Ignazio Cassis, qualifiant «d’énorme erreur» sa participation à la manifestation pro-ukrainienne qui s’est tenue sur la Place fédérale. Il faut dire que le boss de l’UDC semble ne pas se consoler du fait que la Suisse ait été placée sur la liste des pays hostiles à la Russie. Comment dès lors qualifier ceux qui veulent à tout prix rester les amis de nos ennemis?
Pour être complet, ajoutons que les membres de la cinquième colonne à l’œuvre en Russie, c’est-à-dire ceux qui critiquent ouvertement les décisions du chef de l’Etat, risquent 15 ans de prison, tandis que ceux de la cinquième colonne suisse n’ont à redouter que quelques leçons de morale, venues de la gauche pour l’essentiel. Voilà une petite différence qu’aucune espèce de neutralité ne pourra jamais effacer.