LATITUDES

Nicolas Party, du graffiti aux galeries d’art

Le diplômé de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) déploie ses fresques murales et portraits dans plusieurs grands musées à travers le monde. Réinventant les genres de la peinture figurative classique, son œuvre naïve et colorée fascine aussi bien le grand public que les acquéreurs.

Des «bêtises» qui lui ont valu des arrestations à Lausanne, mais lui ont aussi permis de développer son sens artistique. Voilà comment Nicolas Party nomme ses hauts faits de graffeur. L’adolescent un peu rebelle a ensuite emprunté une voie plus studieuse, dans les écoles d’art de Lausanne et de Glasgow, pour devenir au gré de ses apprentissages le peintre coté qu’il est aujourd’hui. Sa première exposition monographique s’est ouverte cette année à Lugano, et durera jusqu’au 9 janvier. Une consécration pour le peintre suisse de 41 ans.

Le temps d’une interview, l’artiste pose ses pastels. Il évoque ses œuvres en cours, comme ces gigantesques grottes vertes qu’il peint à même les murs à Hanovre. Il parle de son lien avec Lausanne et la Suisse, de ce qui l’anime dans son travail, mais aussi de l’énergie créatrice conservée depuis ses années de graffeur.

Vous êtes né à Lausanne et avez grandi non loin de là, en Lavaux, à Villette. Quel enfant étiez-vous? Comment y avez-vous développé votre sens artistique?

Nicolas Party: Comme beaucoup d’enfants, j’aimais dessiner, construire des mondes et m’inventer des scénarios. J’ai continué à exploiter cette part de créativité que beaucoup de gens ont tendance à délaisser. À 12 ans environ, j’ai commencé à faire des graffs et j’ai continué durant toute mon adolescence. C’était un hobby créatif. Je réalisais des lettres, logos, personnages… L’aspect illégal m’attirait aussi bien sûr, j’avais envie de faire des «bêtises», une chose assez courante à cette période de la vie ! Faire cela en bande me plaisait aussi. Nous partions dans la nuit à plusieurs, avec nos bombes de peinture, pour graffer sur les trains à la gare de Lausanne, sur les piliers d’autoroutes ou les voies ferrées de Suisse romande. J’ai définitivement arrêté en 2001 à la suite d’un procès, qui m’a valu plusieurs dizaines de milliers de francs d’amendes. Il m’a fallu des  années pour rembourser cette somme.

Vous entrez ensuite à l’ECAL. Une étape importante?

J’ai ressenti comme un grand soulagement. Je n’avais plus à me stresser pour des examens dans des matières qui ne me motivaient pas. Tout le monde était passionné par un aspect créatif de la vie, et voulait être graphiste ou artiste. Il y avait aussi, comme à Glasgow où j’ai fait mon master, une extraordinaire camaraderie propre aux écoles d’art. Cela donnait envie de passer tout son temps à créer et apprendre. Il y avait une forme de liberté et d’ouverture, qui tranchait avec l’école secondaire, mais aussi avec le graff qui est un milieu très codé. J’ai exploré plein de choses et cela m’a permis de prendre conscience que la peinture était vraiment ce que je voulais faire.

Vous avez évoqué votre passé de graffeur. Cela influence-t-il encore aujourd’hui votre peinture?

Vous voyez, là, j’ai plein de peinture sur les mains. C’est parce que je suis en train de réaliser des fresques murales pour ma prochaine exposition à Hanovre. Et, contrairement à certains artistes, qui demandent à d’autres de réaliser sur des murs les croquis précis qu’ils ont imaginés, je fais moi-même ce travail physique, avec assez peu de préparation à l’avance. J’aime ce côté performatif de la peinture murale. L’exécution du projet est souvent plus importante que le résultat. Ce sont des traits communs importants avec le graff. Se faufiler entre les grillages, la nuit, échapper à la police, pour dessiner. Je retrouve un peu de cette adrénaline et de cette part d’improvisation.

Qu’est-ce qui vous inspire actuellement?

Pour les muraux, je me laisse souvent inspirer par les lieux, c’est d’ailleurs un autre trait commun avec le graff. En ce moment, à Hanovre, je crée dans un espace voûté, une ancienne piscine. Cela invite à peindre des grottes. J’ai aussi une famille de motifs, dont font partie les grottes, et que j’ai créés au fil des ans. Ils me suivent, soit un temps, soit de façon permanente. De manière générale, je reprends les genres classiques de la peinture figurative, comme les natures mortes, les paysages ou les portraits.

Vous parlez de peinture classique. Vos modèles proviennent donc assez peu de l’art contemporain?

Une figure très importante pour moi, et emblématique du médium que j’utilise, est Rosalba Carriera. Elle a rendu les portraits au pastel célèbres lors d’un voyage à Paris dans les années 1720. Ce n’est donc effectivement pas vraiment récent (rires). Cette technique du pastel sec est ensuite passée de mode, supplantée par l’acrylique ou la gouache. Le Lausannois Félix Vallotton (1865-1925) m’inspire également. Contrairement aux autres postimpressionnistes, comme Vuillard ou Bonnard, il a une touche un peu froide et distante. Cette peinture « retenue », peu physique et démonstrative, m’intéresse, tout comme son rapport aux paysages. Il a un côté assez contemporain en fait. Il travaille aussi les différents genres de la peinture classique, des natures mortes aux scènes mythologiques.

La mythologie, voilà un genre auquel vous ne vous êtes pas encore adonné?

Non, mais je me réjouis de l’expérimenter peut-être un jour!

Vous vivez à New York, où vous êtes représenté depuis 2019 par la prestigieuse galerie Hauser & Wirth. D’autres artistes de cette scène vibrante vous inspirent-ils ?

Il y a ici un mouvement constant d’artistes qui arrivent, séjournent, repartent. Connus et moins connus. Parmi les peintres que je côtoie, j’adore Nicole Eisenman. Son énergie et sa manière libre de créer m’impressionnent, tout comme sa personnalité assez incroyable.

Que vous offre la vie new-yorkaise?

Outre ce grand nombre d’artistes venus du monde entier, il y aussi une offre culturelle immense, avec constamment de nouvelles expositions. C’est la capitale de la peinture contemporaine en ce sens, mais aussi sur un plan commercial. La hiérarchie y est aussi assez fluide. C’est une ville progressiste, avec très peu de nationalisme.

Depuis quelques années, vous rencontrez un succès commercial important. En 2019, l’une de vos peintures s’est vendue plus d’1 million de dollars. Qu’est-ce que cela a changé pour vous?

C’est avant tout un changement d’ordre pratique. Pendant plus de dix ans, l’aspect financier était une préoccupation, que ce soit pour la location d’un atelier ou l’achat de matériel. Très bien gagner sa vie permet d’avoir un meilleur appartement et un grand atelier, ce qui est un luxe dans une ville comme New York. Le quotidien est beaucoup moins stressant.

Gardez-vous des liens avec la Suisse?

Bien sûr, mon frère, ma mère et mon père y vivent toujours. J’y ai aussi encore des amis. Et si je devais absolument définir mon identité, elle serait suisse, en raison de traits culturels et d’une certaine influence. Je me définirais aussi comme francophone au sens large, car je lis encore beaucoup en français, je consulte des médias parisiens, etc.

Qu’entendez-vous par traits culturels suisses?

J’échange souvent en ce moment avec un curateur de Montréal, où j’exposerai l’année prochaine. Nous parlons du fait que, comme le Canada, la Suisse a un lien fort avec le paysage, l’environnement. Il lui a servi à construire son identité. Ses icônes, comme Guillaume Tell, proviennent de la campagne, de la montagne. Et cela prend une grande place dans l’art suisse, dans les tableaux d’Hodler par exemple.

Vous avez d’ailleurs réalisé quatre œuvres murales inspirées du peintre suisse symboliste Arnold Böcklin au Museo d’arte della Svizzera italiana (MASI) à Lugano. Il s’agit de votre première grande exposition monographique. C’est une consécration, non?

Bien que chaque invitation soit importante, il s’agit en effet de la première exposition de cette envergure. Déjà, parce que le lieu est très grand. L’exposition mêle des éléments nouveaux à un panorama de ce que j’ai fait ces dix dernières années : peintures murales, pastels sur toile, faux marbre, sculptures. J’ai aussi pu en concevoir l’architecture. Il s’agit enfin de mon premier catalogue.

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Quand Nicolas Party revient à Lausanne, il aime se rendre dans les lieux suivants:

Fondation de l’Hermitage: «Ce magnifique musée se trouve dans une ancienne villa bourgeoise et surplombe la ville de Lausanne. Il se situe au centre d’un parc habité par de nombreux arbres splendides.»

Café Romand: «Ce restaurant typique lausannois sert à la perfection les mets les plus emblématiques de la région, et ce, dans une ambiance très vivante. Mon plat favori est le papet vaudois, servi avec un chasselas de Villette.»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 8).