CULTURE

Renaud Capuçon: «J’aimerais qu’on soit fiers de cet orchestre comme d’une équipe de foot»

Le violoniste français à la renommée internationale Renaud Capuçon, 45 ans, a repris, pour un mandat de quatre ans, la direction artistique de l’Orchestre de Chambre de Lausanne (OCL). Rencontre.

Renaud Capuçon, violoniste, s’occupe désormais de la direction artistique de l’Orchestre de Chambre de Lausanne (OCL). Une collaboration, lancée en septembre avec un premier disque – Tabula rasa d’Arvo Pärt –, qui promet de renforcer encore les liens entre le virtuose et la capitale vaudoise.

Pourquoi avoir accepté de diriger l’OCL?

Renaud Capuçon: C’est un orchestre pour lequel j’ai un immense respect, un des meilleurs orchestres de chambre d’Europe. La sonorité en est extrêmement reconnaissable, celle des cordes est vraiment pure. Il y a une intelligence musicale forgée avec ses directeurs musicaux successifs. L’OCL a une réputation internationale, et on va encore développer cela, mais ce que j’aimerais surtout, c’est que les Lausannois et les Vaudois en soient encore plus fiers. J’aimerais qu’ils en soient fiers comme on peut l’être de son équipe de foot, qu’ils se battent pour les abonnements.

Quelle est votre histoire avec les musiciens de l’OCL?

Enfant, j’avais plusieurs de leurs disques. Puis j’ai joué avec eux, il y a près de vingt ans, sous la direction de Philippe Jordan, fils d’Armin Jordan. Je les ai retrouvés il y a cinq ans en tant que soliste.

Comment s’est déroulé votre engagement?

Plusieurs musiciens souhaitaient que je reprenne la direction artistique. J’ai posé ma candidature et, en 2020, on a enregistré un concert, sans public, à Lausanne. Une sorte de test. Les musiciens ont ensuite voté. C’était une décision démocratique !

Vous enseignez également à la Haute École de Musique (HEMU) de Lausanne et à l’Académie Menuhin de Rolle, êtes le directeur artistique des Sommets musicaux de Gstaad et avez fondé les Lausanne Soloists. Avec tant d’activités en Suisse, pourquoi ne pas y vivre?

(Rires). J’en parlais à l’instant avec mon fils (Elliott, 10 ans, ndlr)! J’ai vraiment une attache particulière avec Lausanne. Je m’y sens chez moi. Disons que rien n’est exclu, mais un déménagement ne se fera pas dans l’immédiat. Ma femme (la célèbre journaliste de télévision française Laurence Ferrari, ndlr) rêve d’y vivre, mais elle travaille à Paris, donc c’est une décision complexe. L’avenir le dira. En tout cas, nous nous sentons tous les trois vraiment bien en Suisse.

Quelles sont vos ambitions pour l’OCL?

Je laisserai forcément une empreinte sur la sonorité, la façon de concevoir les sons, les répertoires. Je souhaite aussi faire tourner l’OCL davantage et y amener des solistes et des chefs avec lesquels il n’a pas encore joué.

Quelles sont les qualités principales de ses musiciens?

Ils ont une envie de jouer, un volontarisme, qui se ressent. L’état d’esprit est excellent. Ils ont envie d’apprendre et de progresser, tout comme moi. Ils sont également ouverts. Le fait de m’avoir nommé directeur artistique le prouve parce que je n’ai pas une expérience de direction de cinquante ans derrière moi ! Quant à leurs qualités musicales, elles sont inhérentes à leur personnalité : leur sonorité est très généreuse. La pureté de leur son, leur intonation, leur sens de l’écoute sont aussi des qualités essentielles. Elles sont assez rares pour un orchestre de cette taille. Et on va encore les affiner.

Concert de l’Orchestre de Chambre de Lausanne avec Renaud Capuçon, direction et violon, le 4 mars 2020 au Métropole à Lausanne. 

La Suisse occupe-t-elle une place particulière sur la scène classique?

Pour moi, oui, parce que c’est un retour aux sources. Je suis né à Chambéry, en France voisine, mais c’est en Suisse romande que j’ai signé mon premier contrat à 19 ans. Je suis aussi venu très tôt au Verbier Festival. J’ai été apprécié en Suisse, avant de l’être en France, et je ne l’ai jamais oublié. On ne joue pas différemment selon la région, mais je pense que l’état d’esprit influence le jeu. En Suisse, je retrouve des qualités dans la musique, comme l’ouverture, le sérieux, la curiosité, que j’apprécie également profondément dans ce pays.

Que vous apporte cette expérience de chef d’orchestre?

Ce qui me plaît dans la direction, c’est qu’on façonne les sonorités par notre propre être. C’est totalement grisant et enthousiasmant. Je pense que tous les musiciens ont envie, à un moment donné, de passer par cet état.

L’enseignement est aussi une part importante de votre activité…

Essentielle, même ! La transmission doit être imbriquée dans le processus d’un musicien. Quand on a un enfant, on lui apprend à marcher, à parler et personne ne vous félicite pour cela parce que c’est naturel. C’est pareil avec la musique. On a envie de transmettre parce qu’on a soi-même reçu. Transmettre vous fait grandir. J’apprends beaucoup auprès de mes élèves. Et ce que j’apprends, je le partage avec les musiciens de l’orchestre.

Avez-vous également appris à votre fils à jouer du violon?

Pas pour l’instant. Il est intéressé, mais je le laisse évoluer librement parce que ce n’est pas facile d’avoir un père dans la musique.

Pourquoi avoir choisi l’HEMU de Lausanne pour transmettre votre savoir?

Parce que j’ai la liberté d’y aller tous les quinze jours et que j’aime cette école. Le bâtiment est magnifique, on s’y sent bien. Le niveau est élevé et ne cesse d’augmenter. Et par rapport aux conservatoires de Paris ou Lyon qui ont encore un système très pyramidal, j’aime l’idée qu’à l’HEMU, je peux avoir des élèves de niveaux différents. Les faire évoluer est passionnant. J’aime aussi le processus de concours d’entrée : ce sont les professeurs qui choisissent leurs élèves et non pas, comme à Paris ou à Lyon, un jury externe.

Qu’appréciez-vous particulièrement à Lausanne?

La lumière, le lac, la taille de la ville qui fait que je ne me sens pas écrasé et que je peux marcher. Après avoir parcouru le monde pendant vingt-cinq ans, j’apprécie de plus en plus les petites villes. Et je trouve qu’on joue mieux dans des endroits paisibles.

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Ses adresses:

Le Musée cantonal des beaux-arts (MCBA): «Malheureusement, quand je suis à Lausanne, j’ai toujours peu de temps pour visiter. Mais j’ai eu la chance de pouvoir découvrir il y a quelques mois le MCBA, un musée passionnant.»

Ouchy: «J’aime être au bord du lac, même pour une promenade de quinze minutes. Rien que le fait de regarder le lac m’apaise, me repose. J’espère avoir un jour le temps de faire un peu de bateau sur le Léman.»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 8).