GLOCAL

Coussins berlinois et gendarmes couchés

La limitation à 30 km/h en ville rappelle qu’il y a d’autres débats que ceux sur la pandémie, mais pas plus apaisés pour autant.

Heureusement qu’il existe encore, pour s’étriper entre gens de bien, des sujets moins abscons et plus légers que la durée des quarantaines ou le sort à réserver aux têtes folles non vaccinées. Oui, de ces petites discordes sans importance qui fleurent bon le monde d’avant, lorsque l’alphabet grec n’était pas encore une source d’angoisse.

Il paraîtrait donc presque réjouissant de voir la Confédération s’occuper d’une question aussi locale et dérisoire que la limitation du trafic en ville à 30 km/h. La Confédération, oui, qui entend voler au secours des villes de plus en plus nombreuses à vouloir imposer cette limitation dans leurs rues, avec la mise en consultation d’un projet qui éviterait aux communes de demander une expertise lorsqu’elles entendent prendre une telle mesure. Jusqu’ici en effet, les autorités locales ne peuvent appliquer le 30 km/h que si elles peuvent prouver que cela réduit les nuisances et fluidifie le trafic.

Cette offensive est loin de plaire à tout le monde. Que le TCS renâcle, rien que de très normal. Fort de son credo fondateur, voulant qu’une voiture c’est d’abord fait pour rouler, pas pour se traîner, il estime que le 30 km/h devrait se limiter «aux endroits appropriés». A savoir les rues des quartiers d’habitation qui peuvent être protégées du trafic par le 30 km/h, mais aussi bien par des obstacles comme «les gendarmes couchés ou les coussins berlinois.» Ailleurs dans la ville, sur les routes principales et les routes de liaison cette même limitation «empêcherait le réseau de fonctionner normalement».

Mais cette mesure qu’on imaginait de bon sens et capable de n’énerver que les habituels fous du volant, laisse également dubitatives des associations aussi respectables que la Fédération Suisse des sapeurs-pompiers, qui craint d’être «ralentie dans ses interventions». De quoi donner raison au très vieil adage stipulant que des meilleures intentions peuvent naître les pires conséquences.

Ce n’est pas là le seul diable qui hante les détails du 30 km/h. L’USAM (Union des arts et métiers) redoute que les commerces locaux et de détail n’en pâtissent, eux qui ont «déjà assez de difficultés à se maintenir dans les centres-villes sans qu’on leur ajoute une contrainte».

Plus inattendu encore, le Service d’information pour les transports publics (LITRA) n’est pas très chaud non plus, jugeant qu’une telle mesure pourrait engendrer des coûts faramineux: «Adopter le 30km/h, ça veut dire plus de personnel, mais aussi davantage de bus, de trams. Il faut alors prendre différentes mesures, par exemple des voies réservées aux bus, ou une priorité aux feux.» Avec aussi cet argument déroutant: «Les transports publics doivent être plus attractifs, pas plus lents, sinon les gens risquent de les délaisser pour passer au vélo électrique.»

Là encore, voilà une belle et noble idée -le tout pédalage urbain-, qui tombe de son piédestal. En septembre dernier, dans «Le Temps», Arnd Bätzner, expert en mobilité, prévenait à propos du vélo: «C’est un moyen de locomotion formidable pour les courtes distances là où les lignes de transports publics à haut débit ne fonctionnent pas. Mais, individuel et non partagé, il consomme de la place. L’idéologie ne doit pas prendre le dessus et pénaliser les transports publics, qui doivent rester prioritaires. Contrairement à eux, le vélo n’est ni un mode inclusif ni un mode à haute densité.»

Comme si cela ne suffisait pas, il semble que deux tiers de la population soit contre le 30 km/h, selon un sondage réalisé pour le compte du TCS. La classe politique n’est guère plus enthousiaste puisqu’en décembre dernier, le Conseil national avait rejeté par 105 voix contre 79 une motion socialiste demandant la généralisation du 30 km/h.

Ce qui n’empêche pas le micro-débat de faire rage. L’ATE (Association transports et environnement), partisane d’une inversion de paradigme avec le 30 km/h qui deviendrait la règle en ville et le 50 km/h l’exception, qualifie le TCS de «rétrograde» et allant «à l’encontre de ce qui se fait ailleurs en Europe».

Finalement, les controverses sur les vaccins et la quarantaine ne sont pas si complexes et insolubles qu’on aurait pu le penser.