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La politique du mistigri

À la merci du moindre nouveau variant, prise dans les mailles d’un fédéralisme chatouilleux, la gestion de la crise se tamponne au moins du peuple souverain.

Les semaines, comme les virus, se suivent et ne se ressemblent pas. D’abord le Conseil fédéral, Alain Berset en tête, tente, face à l’arrivée d’une 5ème vague, de refiler le mistigri aux cantons. Il juge «inapproprié» un durcissement général des mesures de lutte contre la pandémie, au motif que les disparités régionales sont très importantes, en termes de taux de vaccination, comme d’occupation des soins intensifs ou du nombre journalier d’infections. Bref c’est aux cantons de prendre les mesures qui s’imposent.

Et puis soudain, quatre jours plus tard, comme par miracle, c’est branle-bas de combat et feu à volonté sur l’ennemi. Il faut dire qu’entretemps un nouveau venu, encore mystérieux et donc encore redouté, le variant Omicron, a fait son apparition. Du coup le Conseil fédéral s’offre une séance extraordinaire, un mardi. Pour la bonne raison, comme l’explique suavement le bon président Parmelin, que «nous ne voulions pas attendre la prochaine réunion hebdomadaire, qui a lieu vendredi».

On pourra aussi bien, selon son humeur, interpréter cet emballement comme de la fébrilité plutôt que comme une saine réactivité. C’est l’avantage pour les politiques dans cette crise sanitaire. Les développements en sont tellement inattendus que chaque fois le bon peuple est prêt à l’admettre: les sages qui le gouvernent ne pouvaient pas prévoir.

Et quand ces mêmes sages malgré tout agissent, peu importe si c’est à bon escient ou à rebours de ce qu’il aurait fallu faire, on leur donne crédit au moins de n’être pas restés les bras croisés. C’est ainsi qu’à chaque nouvelle vague, la figure d’un Alain Berset prend toujours, comme mécaniquement, un peu plus des allures de commandeur, si pas de «conducător».

Et tant pis si ce qui était vrai jeudi passé, ne l’est plus mardi, et le sera sans doute encore moins vendredi prochain. Seul invariant parmi tous ces variants et toutes ces variations: le nouveau tour de vis décidé ressemble furieusement aux précédents. Les mesures restrictives sont passées de l’état de scoop croustillant à celui de routine décolorée. Port du masque à l’intérieur, gnagnagna, station assise obligatoire dans les restaurants, gnagnagna encore, retour en force du télétravail, gnagnagna toujours.

Certes, une petite acrobatie tente modestement d’innover: plus de limitation à 30 personnes pour les réunions privées, mais passeport sanitaire obligatoire dès 10. Ce qui s’appelle innover par l’ubuesque, générant au passage d’amusants ricanements médiatiques. Du genre: «La police au lieu du Père Noël?»

N’empêche, tancés une semaine plus tôt, les cantons cette fois sont contents et le disent, tel le ministre valaisan de la santé, Mathias Reynard: «Le Conseil fédéral n’a jamais pris de mesures fortes d’un coup. Il a toujours agi par paliers. Depuis le début, nous faisons confiance à sa gestion de la crise.» Ou son homologue genevois Mauro Poggia: «Accroître les mesures en imposant des règles uniformes est souhaitable.»

On comprend leur soulagement: après avoir voulu faire porter sur les maigres épaules des cantons le poids des mesures impopulaires, le gouvernement central reprend la main, pour la plonger courageusement dans le cambouis. C’est l’avantage du fédéralisme, et une des raisons sans doute de sa glorieuse popularité chez nous: permettre à chacun de se défausser sur l’autre. C’est aussi pourquoi, ailleurs, un tel système est souvent vu comme un gage d’inaction.

Ces querelles absconses autour du fédéralisme ne changeront rien à un fait brutal: des valeurs habituellement jugées éternelles, non négociables, comme la démocratie directe ou le peuple souverain, en temps de crise ne valent soudain plus tripette. La preuve: la votation sur la loi Covid, intervenue entre les deux conférences de presse contradictoires du Conseil fédéral, est déjà oubliée. Et n’aura pesé pour rien dans le volte-face de l’exécutif.

Sauf à imaginer Alain Berset en Machiavel et Guy Parmelin en Raspoutine.