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Un serpent de mer qui se mord la queue

Supposée trop sévère, la procédure de naturalisation en vigueur en Suisse est à nouveau sur la sellette. Pour de bonnes et de mauvaises raisons. 

C’est un serpent de mer d’une espèce particulière: rouge à croix blanche. On veut parler de la procédure de naturalisation en Suisse. Le fait que dans ce pays, un quart de la population ne possède pas le passeport national, ne peut avoir que deux explications: un manque de désir de la part des étrangers résidants en Suisse ou une procédure beaucoup trop sélective et compliquée.

C’est la deuxième hypothèse qu’a retenue l’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers (ODAE), entité indépendante créée en 2008. Dans un rapport publié il y a quelques jours, l’ODAE considère que la Suisse «a en comparaison européenne une des législations les plus strictes sur la nationalité». Le problème est loin d’être nouveau puisque le film mythique «Les faiseurs de Suisses» qui dénonçait les absurdités tatillonnes de la procédure de naturalisation date de …1978.

Les propositions de modification de ladite procédure que suggère l’ODAE paraissent à cet égard frappées au coin du bon sens, même si, en cette matière, aucun argument n’est jamais tout à fait rationnel. Sur les conditions formelles pour placer une demande de naturalisation –autorisation d’établissement (permis C) et dix ans de séjour en Suisse–, l’ODAE trouve par exemple que détenir un permis provisoire F ou une autorisation de séjour (Permis B) serait bien suffisant et que le délai de 10 ans devrait être réduit.

Ce qui serait revenir, pourrait-on objecter, avant 2014, année où le Parlement a voté la nouvelle loi sur la naturalisation entrée en vigueur le 1er janvier 2018. Parlement, pourrait-on contre-rétorquer, pas vraiment représentatif puisqu’élu par un peuple amputé de 25% de ses effectifs pour cause d’absence de droits civiques. Serpent de mer, on l’a dit, et on ajoutera qui se mord la queue. Enfin, si le délai de 10 ans peut paraître arbitraire, il faut bien reconnaître que tout autre chiffre le serait à peu près autant.

L’ODAE demande aussi à ce que les critères d’intégration définis par la loi pour l’obtention de la nationalité soient appliqués moins sévèrement. Critères, rappelons-le, qui consistent à respecter la sécurité, l’ordre public et les valeurs de la Constitution, à se faire comprendre dans une des langues nationales et à participer à la vie économique. Là aussi c’est une affaire d’appréciation. Les cas cités par l’ODAE de refus de naturalisation pour un banal accident routier, ou l’ignorance de quelques points de détails locaux, relève évidemment de la tracasserie sournoise. Reste à savoir si ces sortes de mauvaises manières sont fréquentes et méritent donc une modification de la loi.

Ce qui nous amène au point le plus contestable de la procédure, que l’ODAE ne manque évidemment pas de tacler: les façons de faire communales et cantonales sont trop disparates pour permettre une réelle égalité de traitement sur tout le territoire. La naturalisation soumise au vote des assemblées communales se retrouve ainsi particulièrement dans le collimateur. On peut penser qu’invoquer à ce propos les saines traditions de la démocratie directe ou de la décentralisation relève au mieux de la mauvaise foi.

Pour autant, on peut supposer que le faible taux de naturalisation tient aussi à une ambiance générale où une hypothétique citoyenneté du monde est systématiquement valorisée par rapport à la nationalité. On peut ainsi se demander ce qui pourrait motiver un résident suisse détenteur d’un passeport européen à vouloir absolument obtenir le sésame à croix blanche. Hormis bien sûr l’inégalable plaisir qu’il peut y avoir à donner son avis sur la gestion du loup ou l’emploi des pesticides.