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Le jour où les ânes auront soif

La semaine nationale de vaccination proclamée par le Conseil fédéral pourrait bien tourner à celle des quatre jeudis, tant le degré de résistance des non-vaccinés reste une équation à plusieurs inconnues.

Il ne manquait sans doute plus que ça pour que le bastringue vaccinal soit complet: de la musique. La semaine nationale de vaccination proclamée par le Conseil fédéral, prévue du 8 au 14 novembre, propose en effet parmi de nombreuses mesures, des concerts que certains appellent déjà «pro piqûre» –avec notamment Stress, ou encore Sophie Hunger–, en extérieur, et sans certificat Covid exigé mais avec possibilité de se faire vacciner sur place.

Cette offensive aux accents volontaristes et solennels a déjà produit au moins un effet, le seul en réalité dont on soit bien sûr: il en coûtera 96 millions de francs aux caisses publiques. Outre donc l’intervention des troubadours et autres ménestrels, sont programmés une campagne médiatique, des événements locaux, des séances d’information, une augmentation des unités mobiles de consultation et de vaccination déjà existantes et l’engagement de conseillers supplémentaires.

L’objectif est ainsi défini par le Conseil fédéral: «Informer un maximum de personnes des avantages de la vaccination, grâce à une communication claire, en plusieurs langues et basée sur des données fiables. L’efficacité, la sécurité et les effets secondaires des vaccins, les risques sanitaires liés à une infection ou les possibilités de vaccination seront ainsi abordés.»

L’initiative peut cependant paraître des plus hasardeuses, son succès dépendant du degré de résistance et de motivation de ce tiers de la population toujours récalcitrante à la vaccination. Il paraît à peu près impossible de connaître dans ce front du refus la part des hésitants, des anti-vax purs et durs, ou encore des simples procrastinateurs.

Ces derniers ne seront pas forcément les plus faciles à réveiller. La procrastination, un écrivain de la trempe de Montherlant l’avait érigée par exemple en mode de vie: «J’ai toujours remis au lendemain de faire les choses ennuyeuses et m’en suis toujours trouvé bien, la nécessité de faire ces choses ayant une fois sur deux disparu entre-temps.» Combien sont-ils qui auront compté sur la vaccination des autres pour voir l’épidémie s’éteindre?

Bref, c’est toute la délicate et vieille question de faire boire un âne qui n’a pas soif. Les autorités sanitaires reconnaissent d’ailleurs le côté coup de poker de l’opération. «Nous n’avons pas d’objectifs. Je ne sais pas ce que la semaine de vaccination va apporter. On ne peut rien dire, ni prévoir. Mais j’espère que les gens qui ont besoin d’être conseillés viendront», a reconnu par exemple Rudolf Hauri, président de l’Association des médecins cantonaux.

Dans les motivations qui ont pu pousser le Conseil fédéral à proclamer cette semaine nationale, on retrouve le même sympathique animal aux longues oreilles: en comparaison européenne la Suisse fait figure de très mauvais élève et il s’agissait donc pour le gouvernement d’éviter le fameux bonnet d’âne. C’est le propre des crises majeures de faire apparaître cruellement et au grand jour, de manière précisément chiffrée, l’inactivité ou les erreurs de ceux qui sont aux commandes d’un pays.

D’autant que le nombre de doses de vaccins contre le Covid administrées journellement paraît en baisse continue, actuellement environ 13’000 alors que c’était 60’000 au début de l’été. L’épidémie semble au contraire, elle, connaître un peu partout, et donc en Suisse, une courbe ascendante. Lente mais certes mais bien ascendante.

Un pays au moins, l’Allemagne, a dit tout haut la raison de ce rebond. «La quatrième vague de la pandémie se développe hélas comme nous le redoutions parce que le nombre de vaccinés n’est pas suffisant», a annoncé le ministre de la santé, Jens Spahn, parlant même d’une «épidémie massive de non-vaccinés».

Que ces derniers se rassurent: en Suisse comme ailleurs, plutôt qu’au bâton, l’heure est encore à la carotte. Et aux flonflons.