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Être soigné plutôt que jugé

Les sondages donnent gagnante l’initiative «Pour des soins infirmiers forts» et perdante celle sur l’élection des juges par tirage au sort. Entre logique et paradoxe.

Les juges et les infirmières: il y avait peu de chances pour que ces deux professions se retrouvent ensemble sous les feux de la rampe. Précisons d’abord que si l’on dit «infirmières» c’est parce que cette profession indispensable, difficile, mal payée et aux horaires à peu près épouvantables pour toute vie de famille, emploie à une écrasante majorité, comme c’est étrange, des femmes.

Le 28 novembre prochain pourtant, nous nous occuperons et des juges et des infirmières. Nous ne voterons ce jour-là en effet pas que sur la loi Covid, mais aussi sur deux initiatives. L’une prêchant pour que l’élection des juges fédéraux se fasse désormais par tirage au sort plutôt que par le Parlement. Et l’autre appelant à une revalorisation, sur divers points, du statut des infirmières. Sans surprise, et selon les sondages, les juges pour l’instant font un flop et les infirmières un carton. Ce qui est déjà la preuve d’une évidence: on préfère toujours être soigné que jugé.

Ce qui serait presque touchant, concernant l’initiative sur les juges, c’est l’unanimité absolue des grands partis. Le PS, le Centre, le PLR, l’UDC, les Verts et les Verts libéraux ne veulent à l’unisson pas en entendre parler. Il faut dire qu’actuellement, pour être élu par l’Assemblée, un candidat juge fédéral doit être affilié à un parti. Pour défendre donc son contingent de petits chevaux bien sages et portant casaque appropriée, les formations politiques ont peaufiné toute une série d’arguments qui fleurent bon la défense acharnée de la gamelle et des prérogatives.

Du genre: la loterie ne peut remplacer la démocratie. Ou encore que les juges sont en réalité élus par le peuple puisqu’ils le sont par leurs représentants légitimes, les valeureux parlementaires. Ou le fait – à peu près invérifiable–, qu’il n’existe aucune preuve que les juges cèderaient à la pression de leurs partis. Enfin, l’affirmation, tout aussi peu vérifiable, que les partis prendraient en compte, quand ils choisissent les juges, les capacités professionnelles plutôt que la couleur idéologique. On n’est pas obligé de les croire et pourtant on semble les croire, puisqu’à l’heure actuelle l’initiative serait rejetée. On ne savait pas que les citoyens de ce pays accordaient une telle confiance à leur classe politique.

Tout à l’inverse, 82% des mêmes citoyens seraient prêts à venir au secours des infirmières. Cette initiative lancée par la profession elle-même –l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI)–, réclame une réelle revalorisation des conditions de travail ainsi que l’inscription de la promotion des soins dans la Constitution, histoire de faire face à une pénurie constante, 6’200 postes actuellement non pourvus.

Le Conseil fédéral a commencé par la prendre de très haut, cette initiative «Pour des soins infirmiers forts», recommandant le rejet et ne voyant même pas la nécessité de lui opposer un contre-projet. Avant que les Chambres ne se décident à proposer un texte alternatif, répondant à certaines revendications de l’initiative. Mais pas à toutes, refusant l’inscription des mesures dans la Constitution, et lui  préférant une «offensive» sous forme de quelques milliards injectés.

On est en tout cas loin du refus hautain du Conseil fédéral, puisque dorénavant ne reste que deux camps: ceux qui soutiennent l’initiative –la gauche et les Verts libéraux–, et ceux qui estiment que la dite initiative va trop loin et se rallient donc au contre-projet, la droite.

À se demander s’il n’aurait pas fallu ajouter au menu du 28 novembre un quatrième texte: l’élection des membres du Conseil fédéral par tirage au sort.