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Le surpoids des moutons noirs

La campagne sur le referendum contre la loi Covid menace d’être brouillée par les affaires Berset et Maurer. Dommage pour la démocratie.

Autant en emporte le vent? Rien n’est moins sûr, même s’il y a bien une Scarlett dans cette histoire. Impossible en effet de faire comme si la campagne tout juste ouverte sur le referendum contre la loi covid – le deuxième en quelques mois – ne se passait pas sur fond de deux affaires n’ayant rien en commun, mais mettant en cause deux membres du Conseil fédéral.

Ce Conseil fédéral qui se présente justement dans cette votation comme l’incarnation de la hauteur, de la raison et du bon sens face à une sorte de Nef des fous: anti-vax, complotistes, libertaires croyant découvrir des indices de dictature à chaque coin de rue. Tout en ayant vu donc ces dernières semaines deux de ses membres se faire chahuter par leurs oppositions respectives.

Alain Berset a été pris en grippe par l’UDC qui n’hésite pas à monter en épingle les errances extraconjugales du ministre. Ueli Maurer, ensuite, essuie la colère du PS pour avoir exprimé en public, à propos de la crise sanitaire, des propos contraires à la position du sacré collège. «Le Conseil fédéral et les autorités ont failli… Nous devons parler d’une crise de gouvernance et non d’une crise du coronavirus.»

Deux moutons noirs sur un petit cheptel de sept, cela fait peut-être un peu beaucoup pour maintenir, en cette période de fin de crise, le cap d’une politique apaisée.

Bien sûr, l’affaire Berset n’a eu d’impact que parce qu’elle rompt avec les mœurs et habitudes locales. La vie privée des politiciens, et spécialement des conseillers fédéraux, a toujours fait l’objet d’un tabou à peu près respecté, sauf quand les débordements devenaient trop visibles et impossible à cacher sous la moquette, comme dans l’affaire Buttet.

Bien sûr aussi le fait que la rupture de collégialité provienne d’un membre de l’UDC – après tout Blocher déjà avait montré l’exemple – et en plus d’un membre âgé qui ne fera bientôt plus partie du troupeau, atténue sérieusement la profondeur du coup de canif dans le contrat.

Ces deux affaires, effectivement, n’ont rien de bien sérieux. Sauf que l’air du temps en est à faire feu de tout bois, fut-ce d’un misérable tas de brindilles. On peut certes considérer l’indignation vertueuse d’un Roger Köppel dans la Weltwoche contre les goûts d’Alain Berset pour les danseuses et les limousines, de la même façon détachée qu’on pourra juger la colère convenue du conseiller national Roger Nordmann contre la rupture de collégialité de Maurer: comme des joutes politicardes aussi vite oubliées qu’éructées.

N’empêche que voilà ainsi maintenue vivante une petite musique consistant à «déconstruire» – terme breveté depuis longtemps mais méchamment revenu sur le devant de la scène – ces magistrat suprêmes que sont les conseillers fédéraux, pour en faire des guignols de petits chemins.

De quoi brouiller la transmission d’un message pourtant ultra simple: s’attaquer à la loi Covid, c’est d’abord tarir l’aide financière aux entreprises et personnes impactées par la crise, et qui n’ont encore rien touché, et c’est empêcher l’assouplissement des mesures sanitaires pour les vaccinés et guéris du Covid-19, c’est-à-dire pour la majorité.

Même si finalement l’impact négatif des affaires Berset et Maurer s’avérait plus qu’anecdotique, on pourra toujours regretter d’en être arrivé au point où, pour garder sa crédibilité, un homme politique doive vivre comme un moine et ne pratiquer qu’une seule langue: celle de bois.