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Le sexe des anges

La pression monte sur le législateur pour retenir comme critère principal du viol le non-consentement. Une évidence qui n’en est pourtant pas vraiment une.

Voilà au moins un point que la Suisse partage avec ces douces démocraties que sont la Chine ou la Russie: sa définition juridique du viol. Lequel ne sera reconnu comme tel que s’il y a preuve de violence, de menaces ou de pressions psychologiques.

Cela pourrait tout de même changer. A l’heure où la commission juridique du Conseil des États étudie la possibilité d’une réforme du droit pénal en matière d’infractions sexuelles, Amnesty International, Santé sexuelle suisse ainsi que les organisations féministes mettent la pression pour un renversement radical de paradigme. Leur principale revendication consiste à inscrire le non-consentement comme critère principal du viol.

On est pourtant encore loin du compte puisque l’avant-projet de la commission certes élargit la notion de viol en y incluant d’autres types de pénétrations que vaginales et la possibilité que la victime soit un homme, mais laisse toujours de côté la notion de consentement. «Il maintient une caractérisation du viol basée sur la contrainte, la violence, la résistance», regrette Barbara Berger, directrice de Santé sexuelle suisse. Lors des premières discussions en février dernier, la Verte genevoise Lisa Mazzone, membre de la commission, disait déjà «son énorme déception» devant un projet ne reconnaissant «pas la seule absence de consentement comme un motif de viol».

A priori, l’affaire peut sembler assez simple, et la commission juridique faire preuve d’une trop grande prudence, déconnectée en tous cas des sensibilités contemporaines. Quand une relation n’est pas consentie, comment appeler cela autrement qu’un viol? Professeur de droit pénal à l’Université de Berne, Martino Mona, résume ainsi le malaise: «Les normes sociales ont changé et le droit pénal est basé sur une compréhension dépassée de la moralité et de la sexualité».

Pourtant, à y regarder de plus près, la simple notion de consentement ne va pas sans poser quelques problèmes qu’on ne peut écarter d’un revers de main. La juriste Nora Scheidegger, spécialiste de droit pénal sexuel, explique ainsi à Swissinfo que «le concept de viol recèle une forte charge émotionnelle et est considéré comme l’un des pires délits qui soit» et que donc «aussi longtemps que cela est le cas il est logique de réserver cette infraction aux violations les plus graves».

D’autres types d’arguments sont par ailleurs avancés contre la notion de consentement. D’abord, elle équivaudrait à renversement de la charge de la preuve, ce qui est un peu contraire à l’État de droit. Il est en effet probable que ce soit à la personne accusée de prouver qu’il y a eu consentement.

Une autre crainte apparaît: le consentement comme seul critère pourrait faciliter les fausses accusations. Dans l’ambiance et l’émotivité actuelle, c’est un risque à ne pas négliger d’emblée. La NZZ relève par exemple qu’à Zurich, en dix ans, le nombre de plaintes pour harcèlement sexuel a doublé. Avec des motivations de plus en plus élargies: attouchements, mais aussi gestes obscènes, sifflements, et même «regards pervers».

Enfin, comme le relève Nora Scheidegger, le critère de consentement pourrait donner de faux espoirs aux victimes: «les problèmes de preuves subsistent». Il restera en effet toujours plus difficile de prouver que l’on n’a pas consenti un rapport sexuel que de montrer des traces visibles de violence. On peut donc redouter qu’avec la notion de consentement, les victimes d’atteintes sexuelles ne soient pas mieux protégées et qu’il n’y ait pas davantage de condamnations.

Bref, ce débat en apparence d’abord si simple pourrait bientôt n’avoir plus grand-chose à envier à celui, fameux, et qui enflamma le Moyen Âge, sur le sexe des anges.