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Ni le beurre, ni l’argent du beurre, encore moins la crémière

Après le voyage d’Ignazio Cassis à Bruxelles, il apparait clairement que la Suisse n’aura pas d’autre choix que d’adopter une flexibilité dont elle accusait jusqu’ici l’UE de manquer.

L’atmosphère est à l’orage, l’eau monte mais la confiance stagne. On peut multiplier les métaphores météorologiques, le voyage du ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis à Bruxelles n’aura pas contribué au réchauffement entre la Suisse et l’Union européenne, après le renoncement brutal de la Confédération à l’accord-cadre en mai dernier.

Il faut dire que cette visite, si l’on s’en tient à ses objectifs annoncés, n’avait pas beaucoup de sens. Voir si un «chemin existe» avec ce «partenaire important», signaler que la Suisse n’a «pas fait son Brexit» et qu’elle entend «rester connectée au marché intérieur», tout cela sonnait un peu comme réclamer tous les avantages du mariage après avoir unilatéralement proclamé le divorce.

Avec en sus, des arguments ne tenant pas une seconde la route. Pour faire son Brexit, il faudrait d’abord être membre. Ensuite, cette volonté de rester dans le marché intérieur européen ne révèle que le froid appétit d’une Suisse qui est le pays profitant le plus dudit marché. Sans surprise, Ignazio Cassis est reparti sans rien.

Accuser l’UE, comme la Confédération l’a fait tous ces derniers mois, de manquer de flexibilité, relevait en plus d’un certain culot. C’est tout de même la Suisse qui s’est arc-boutée et obstinée, pour refuser l’accord cadre, à dessiner des épouvantails comme l’ingérence de la Cour de justice de l’Union européenne – merci l’UDC –, ou des risques de dumping salarial – merci la gauche et les syndicats –. Comme si, lorsqu’il s’agit de discuter le bout de gras avec l’UE, la Suisse reniait ses propres principes, se mettait à avoir peur de son propre ADN: la légalité et la concurrence.

Une attitude d’autant moins payante qu’au concours de gonflette, l’UE a dans son arsenal des moyens de rétorsion autrement costauds. C’est ainsi que la Commission européenne a déjà exclu la Suisse du prochain programme de recherche Horizon Europe, dans lequel 100 milliards d’euros seront injectés. Elle n’a d’autre part pas actualisé la reconnaissance mutuelle des produits de technologie médicale. Coût estimé pour la branche:100 millions.

Pour revenir à de meilleures intentions, l’UE exige le versement rapide d’un milliard dit de cohésion. Manque de chance ce geste d’apaisement doit être ratifié par le Parlement, qui est loin d’être très chaud. L’UDC y est naturellement et farouchement opposée, le Centre divisé et le Parti libéral-radical braqué, si l’on en croit les considérations du conseiller national Philippe Nantermod: «Il n’y aucune raison de débloquer ce crédit sans contrepartie. Nous voulons rester un partenaire qui traite d’égal à égal avec l’UE et exigeons des améliorations sectorielles dans notre relation.»

Voilà qui ressemble à un vœu pieux plutôt qu’à une vision réaliste de la situation. Le Conseil fédéral ne pourra en tout cas pas, comme il l’a fait souvent lors d’une décision antieuropéenne, notamment sur la libre circulation, invoquer la démocratie directe, mettre la faute sur le peuple ou le Parlement. L’UE a en effet bien remarqué que le renoncement à l’accord-cadre s’était fait sans consulter ni l’un ni l’autre.

Il semblerait que l’on en soit arrivé au point où, si l’on en croit les confidences d’un «interlocuteur européen» au quotidien «Le Temps», «le Conseil fédéral a entaché sa crédibilité à Bruxelles» et où «il faudra du temps pour relancer la relation». Au point aussi où, plutôt que d’accuser l’UE d’en manquer, la Suisse devra se résoudre à faire preuve enfin d’un peu flexibilité.

A force de vouloir en être sans y être, ou, si l’on préfère, ne pas en être tout en y étant, la Suisse dans ses relations avec l’UE pour l’instant se retrouve sans le beurre, ni l’argent du beurre. Quant à la crémière n’en parlons plus.