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Le serment des trois Suissesses

Le suffrage féminin et la cause des femmes sont célébrés cette année lors de la fête nationale sur la prairie du Grütli. Un symbole peut-être un peu trop lourdingue pour être efficace.

Évidemment les femmes ne servent pas qu’à ramener des médailles olympiques par paquet de trois. Leur discipline favorite reste la conquête de prés carrés masculins érigés en forteresses imprenables. Et celui-là de pré se pose là, puisqu’il s’agit du Grütli. La plus patriotique de nos prairies est en effet transformée cette année, à l’occasion de la fête nationale, en terrain de jeu pour féminité triomphante.

Au programme: la présence de deux conseillères fédérales –Simonetta Sommaruga et Viola Amherd–, et un hommage rendu aux pionnières du suffrage féminin, dont on fête les cinquante ans. On est là bien sûr dans le lourdement symbolique avec le Grütli, ce carré d’herbes folles où le serment fondateur de la Confédération aurait été renouvelé par les trois Suisses Walter Fürst, Arnold von Melchtal et Werner Stauffacher. Sacré podium, mais sans la moindre Jolanda, Sina, ou Linda dans une discipline (la création d’État) certes encore peu ouverte aux femmes.

C’est aussi au Grütli que le général Henri Guisan prononça son fameux discours patriotique de 1940, face à 500 officiers et zéro officières. Bref un cadre éminemment bucolique mais aussi à fortes émanations de testostérone.

Longtemps aussi la vénérable prairie a été célébrée et investie par les forces les plus conservatrices. En 2005, le conseiller fédéral Samuel Schmid s’y était fait huer par des extrémistes de droite après avoir proféré cette innocente évidence: «La Confédération puise sa force dans sa capacité d’intégration.» L’année 2021 marque donc un tournant, avec la présence sur l’herbette de 600 femmes –contre une pauvre cinquantaine d’homme–, sous la houlette d’organisations féministes à qui a été confiée l’organisation du raout national.

Le président de la Société suisse d’utilité publique (SSUP) propriétaire de la prairie, le vert libéral Nicola Forster a cru devoir enfoncer le clou en clamant haut et fort: «La prairie du Grütli, même si elle est au cœur des cantons fondateurs de la Suisse, appartient à tout le monde, aux conservateurs comme aux secondos, soit les immigrés de la deuxième génération.»

Les femmes et les immigrés: voilà que la vénérable prairie menace de tourner à la sauce woke, ce grand chaudron idéologique et mondial destiné à frire aux petits oignons le mâle blanc. Que les rétrogrades à mollets noueux se rassurent, ce n’est qu’un mauvais moment à passer: l’an prochain la cérémonie du Grütli sera confiée à l’Association fédérale de lutte suisse, bastion non seulement masculin mais aussi alémanique.

C’est un peu le problème avec le Grütli: son rayonnement est à géographie variable. En 2018, à quelques jours du 1er août, la SSUP lançait ce cri d’alarme: «Jusqu’à aujourd’hui, aucun média romand ne s’est inscrit pour la Fête nationale du Grütli, alors que le président de la Confédération Alain Berset prononcera une grande partie de son discours en français.»

Quelle idée aussi a eu le Grütli de s’encastrer sur les hauteurs du lac des Quatre-Cantons quand il aurait été tellement plus simple de finir en pente douce dans le bleu Léman. On ne sent d’ailleurs pas un enthousiasme très débordant chez la conseillère aux États Elisabeth Baume-Schneider, membre elle aussi de la SSUP, mais très langue de bois pour évoquer ce 1er août: «Les rituels sont vivants, il faut les faire évoluer. En tant que Romande et Jurassienne, je n’ai pas d’affection particulière pour cette prairie, mais je sais à quel point l’alliance confédérale a un sens.»

Bref tout cela apparaît comme un peu forcé, un peu grandiloquent et coupé de toute réalité. Avec le risque que cette fête nationale féministe ne vienne donner raison au célèbre aphoriste Lichtenberg, s’inquiétant il y a déjà deux siècles que «de nos jours la vérité doive voir sa cause plaider par des fictions, des romans et des fables».

Et si pour le rendre vraiment rassembleur, vraiment patriotique, vraiment égalitaire, on laissait entendre que le Grütli, plutôt que d’appartenir à tout le monde, n’était la propriété de personne, sinon de la luzerne et des vers de terre?