TECHNOPHILE

Drones: Lausanne gagne en altitude

La région lausannoise s’illustre depuis une quinzaine d’années comme un centre d’excellence unique au monde en matière de robots volants. Récit d’une histoire qui n’a pas fini d’atteindre des sommets.

Il n’y a pas si longtemps, les seuls drones que l’on pouvait croiser dans les airs étaient de grandes machines bardées d’armements. Il existe désormais des escadrons de petits robots volants battant pavillon suisse nettement plus pacifiques: ils assistent les secours pour rechercher les victimes d’avalanche, facilitent l’inspection des récoltes ou permettent le contrôle d’installations industrielles sensibles.

Le début de l’essor de ces robots aériens légers a pris forme il y a une quinzaine d’années sur le campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et, plus précisément, au sein des murs du laboratoire de systèmes intelligents (LIS) dirigé par Dario Floreano. Le professeur d’origine italienne réfléchit alors au moyen de concevoir des drones capables d’être utilisés dans des environnements civils, sans danger pour les personnes ou les objets qui pourraient se trouver à proximité.

Pour ce faire, Dario Floreano et ses étudiants s’appuient sur le principe du biomimétisme, soit le fait de s’inspirer de la nature pour développer une innovation technologique. «Le premier défi a consisté à doter les drones de capacités visuelles pour analyser et comprendre le monde qui les entoure, explique Dario Floreano. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés aux caractéristiques de la mouche, capable de naviguer dans un espace restreint. Autre propriété intéressante de cet insecte: la manière dont son corps absorbe les chocs lorsqu’il entre en collision avec un objet.»

Précurseurs technologiques

Construire des drones bio-inspirés a ainsi nécessité l’étude de la littérature scientifique, mais aussi de nombreux échanges avec des spécialistes en biologie pour traduire ces connaissances en modèles applicables à une machine. De ces recherches ont éclos les premières entreprises de la région. À commencer par senseFly. La société, fondée en 2009, développe et commercialise des mini-drones à voilure fixe et autonomes. Vendus entre 20’000 et 30’000 francs, ils sont destinés à la cartographie, au suivi des cultures agricoles ou à l’analyse spatiale d’exploitations minières.

«Lorsque nous nous sommes lancés, nous disposions d’une technologie en avance sur la concurrence, car il n’y avait pas besoin de maîtriser le pilotage pour utiliser notre drone, explique Jean-Christophe Zufferey, l’un des cofondateurs de senseFly, aujourd’hui actif dans le conseil aux entreprises innovantes. Nous avons aussi eu la chance de rencontrer les chercheurs qui allaient fonder l’entreprise Pix4D. Grâce à leur logiciel capable de générer des cartes à partir des images capturées par nos drones, nous avons pu proposer un produit très intéressant pour les géomètres.» Rachetée en 2012 par le groupe français Parrot, l’entreprise basée à Cheseaux-sur-Lausanne compte aujourd’hui plus de 100 employés et s’affirme comme leader mondial sur le marché des drones de cartographie.

Autre exemple de réussite issu des laboratoires lausannois: la start-up Flyability. Créée en 2014, elle s’est spécialisée dans la conception de petits engins volants entourés par un châssis de protection capables de se déplacer dans des espaces confinés. Des caractéristiques qui permettent à ces drones d’aller inspecter les entrailles de la centrale nucléaire de Tchernobyl, les conduites d’une usine chimique ou la structure d’une plateforme pétrolière.

«Au départ, nous avions plein d’idées d’utilisation de nos drones: faire de l’animation dans des centres commerciaux ou effectuer des recherches de victimes en cas de catastrophe, se rappelle Patrick Thévoz, CEO et cofondateur de Flyability. Mais la publication d’une vidéo qui a connu un fort engouement sur les réseaux sociaux nous a rapidement fait comprendre que le marché le plus prometteur concernait les inspections de sites industriels.»

La solution développée par l’entreprise vaudoise permet en effet à la fois de limiter les risques pour le personnel et de diminuer les coûts de contrôle de ces installations. L’entreprise vaudoise emploie désormais près de 100 collaborateurs et commercialise ses drones dans plus de 50 pays. «Notre offre de niche a réussi à séduire des clients intéressés par l’innovation. Le défi consiste désormais à convaincre au-delà de ce cercle.»

Écosystème favorable

Ces précurseurs en matière de robotique aérienne légère ont depuis inspiré bon nombre d’émules dans la région. On y compte aujourd’hui des dizaines de start-up prometteuses spécialisées dans le domaine, actives aussi bien dans la mise au point d’appareils volants que de logiciels ou de nouvelles technologies.

Il y a par exemple Aero41, qui propose un drone destiné à l’épandage des vignes. MotionPilot a mis au point pour sa part un outil de contrôle destiné à diriger de manière plus précise et immersive les drones pilotés à la première personne (FPV).

Il y a aussi RigiTech, dont le drone est capable de livrer des charges d’un poids allant jusqu’à 3 kg en un temps record ou à destination de lieux inaccessibles autrement. «L’acheminement de marchandises devrait être amené à fortement progresser dans un avenir proche, par exemple pour livrer des échantillons médicaux délicats, analyse Jean-Christophe Zufferey. On voit aujourd’hui une fusion entre les différents domaines que sont l’aéromodélisme, l’aviation électrique, l’intelligence artificielle et la conduite autonome. À plus long terme, on verra, par exemple, le développement du transport de personnes, sous la forme d’ambulances volantes ou de petits aéronefs qui effectuent la liaison entre un aéroport et la destination finale des voyageurs.»

Au-delà de la région lémanique, la Suisse compte aujourd’hui un deuxième pôle d’excellence en matière de robotique du côté de Zurich. Patrick Thévoz souligne le rôle joué par l’héritage suisse en matière de microtechnique ou d’horlogerie dans la formation de cet écosystème. «Notre pays compte un bon réservoir de talents liés à l’automatisation, il y a donc une certaine logique à voir ce domaine se développer ici.»

Les deux experts relèvent également l’importance du soutien étatique: services de la promotion économique, autorités cantonales ou fédérales, mais aussi l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC). «Nous avons eu la chance que le législateur ait pu faire évoluer, de manière intelligente et pragmatique, les règles qui permettent aux innovateurs d’avancer, remarque Jean-Christophe Zufferey. Cela a d’ailleurs permis d’attirer des entreprises américaines qui ont lancé leur développement en Suisse.» Depuis trois ans, l’OFAC, Skyguide, qui s’occupe du contrôle de l’espace aérien suisse, et Airmap, une start-up californienne, collaborent pour la mise au point d’un système de gestion du trafic des drones.

Reste que les innovateurs suisses sont soumis à une concurrence de plus en plus rude de la part des grands groupes basés en Asie ou aux États-Unis. Ainsi, l’entreprise chinoise Dji, qui détient environ 70% du marché des drones grand public, investit depuis quelques années dans les appareils destinés à des usages professionnels. Autre défi que relève Jean-Christophe Zufferey: le taux d’adoption de ces nouvelles technologies. «Il n’est pas facile de faire abandonner à un géomètre son trépied et ses habitudes de travail, cela demande du temps.»

Pas de quoi cependant stopper l’enthousiasme des chercheurs de l’EPFL. Il y a quelques semaines, Dario Floreano a présenté un nouveau modèle de drone doté d’ailes et d’une queue à plumes mobiles, inspiré des rapaces. «Ces oiseaux disposent d’une capacité impressionnante à modifier leur direction de vol et leur vitesse grâce à leurs plumes et leur queue. Appliquer leurs caractéristiques à la robotique va permettre de mettre au point des drones plus agiles et capables de voler plus longtemps.»

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Un drone à la maison

Vol d’exploration en évitant les meubles du salon, course poursuite à travers une forêt façon Star Wars ou expédition en hauteur pour réaliser des photos spectaculaires… Le pilotage de drones se développe depuis quelques années comme un hobby aux facettes multiples. C’est d’ailleurs aussi une discipline sportive promue par la Fédération aéronautique internationale, dont le siège se trouve à Lausanne.

On distingue quatre principaux modes de contrôle aux temps d’apprentissage plus ou moins longs. «Le plus simple est le mode GPS, où l’on indique au drone des coordonnées sur lesquelles il va aller se positionner tout seul, explique Yacine Zendaoui, directeur de Eye4i, une boutique en ligne spécialisée. Pour ce qui est des autres options de contrôle, il existe des drones baromètres (qui gèrent l’élévation automatiquement), des appareils stabilisés (dotés de gyroscopes mais dont on doit contrôler l’altitude) ou encore des engins en mode manuel complet, destinés aux amateurs de courses ou d’acrobaties.»

Pour qui souhaite se lancer, l’expert conseille de ne pas débuter avec les coûteux modèles des leaders du marché, performants mais plutôt fragiles et dont la réparation peut vite s’avérer onéreuse. «Il vaut mieux se familiariser avec les bases du vol à l’aide d’un petit modèle stabilisé, peu dangereux et résistant bien aux chocs.» Compter environ 30 francs pour les drones de premier prix, destinés à un usage chez soi ou sur de courtes distances extérieures en l’absence de vent.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (no7).