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Allo papa bobo

C’est l’art du compromis qui aura permis l’instauration du congé paternité, et lui aussi qui l’aura rendu si court.

Il n’y a pas que Donald Trump à avoir fait de l’art du deal son fonds de commerce. Depuis des lustres, la politique suisse avance à coups de marchandages. Un fort joli nom a même été trouvé pour donner à cette vieille manie un semblant d’allure: «compromis» cela sonne tout de même mieux que «troc» ou «entourloupe au souk».

Une démonstration presque caricaturale en a été apportée par le congé paternité soumis au vote populaire, le 27 septembre prochain. Les deux semaines qui seraient accordées au père, contre un jour jusqu’ici, sont en effet soutenues par tout le monde – sauf les irréductibles de l’UDC. Bien des mauvais esprits ont souligné, depuis longtemps, que l’unique jour concédé par la loi pouvait laisser penser qu’en Suisse, la naissance d’un enfant était traitée administrativement sur le même plan exactement qu’un déménagement.

Même le Conseil fédéral par la voix d’Alain Berset le reconnait: un tel manque de générosité ne correspond plus aux réalités actuelles. Tant pis si les réalités actuelles consistent aussi à faire de moins en moins d’enfants, ce qui devrait conduire mathématiquement à réclamer plutôt moins de congé paternité que plus.

Sauf que le but n’est pas de contribuer à une renatalisation. Il s’agirait plutôt, c’est toujours le Conseil fédéral qui parle, de permettre au nouveau père – en novlangue gnangnan: néo-papa – de «s’engager dans le quotidien et de décharger la mère». Il semblerait donc que ce congé paternité soit largement, et paradoxalement, envisagé et ressenti d’abord comme un cadeau à la mère.

N’empêche, pour arriver à un si modeste résultat, il aura fallu moult tractations. D’abord une initiative populaire qui demandait quatre semaines, aussitôt rejetée par le Conseil fédéral et les deux Chambres. Le Parlement dans la foulée ayant proposé un contre-projet à deux semaines, les initiants ont retiré leur texte mais «sous condition». En cas d’acceptation, le Conseil fédéral serait tenu de mettre en oeuvre la mesure dès le 1er janvier 2021 et en cas de refus, obligé de soumettre au vote l’initiative des quatre semaines.

Le résultat de ce savant marchandage c’est que tout le monde – à part l’UDC on l’a dit, qui trouve cela encore trop cher – va soutenir le contre-projet mais que personne n’en est content. Sauf le PDC, qui porte le compromis comme une deuxième peau. La gauche aurait préféré 38 voire 50 semaines, le PLR avait fixé à 16 la ligne à ne pas dépasser, chacun finissant par ruminer dans son coin l’oiseuse maxime, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Ce n’est plus l’art du deal, c’est Monsieur Prudhomme passant à l’action.

Le plus amusant est que ce qui va être plébiscité risque de ne pas rester longtemps en vigueur, puisque les marchandages vont reprendre. A gauche des récoltes de signatures sont déjà annoncées pour une initiative qui réclamera un congé parental à la suédoise, c’est-à-dire grosso modo une année à se répartir entre les deux parents. Cette tendance ne concerne pas que la gauche. La Vert’libérale Isabelle Chevalley, par exemple, explique que «le congé paternité est un combat d’arrière-garde. Seul le congé parental assure une égalité des chances aux deux parents dans leur carrière professionnelle».

En réalité il semblerait que notre fameux art du deal ne va contribuer qu’à retarder de quelques années l’inéluctable, c’est-à-dire la mise au diapason de la loi avec l’air du temps. Un air du temps assez bien résumé par un quotidien qui n’est pas d’extrême gauche puisqu’il s’agit du Temps: «les deux semaines octroyées ne peuvent être qu’une étape intermédiaire. Un petit, tout petit pas dans la bonne direction. Car dix jours, voire vingt jours, ne suffiront jamais pour aboutir à une nouvelle réelle répartition des rôles au sein du couple. Juste de quoi permettre au père de gagner en compétences et en sûreté dans des gestes élémentaires avec son bébé».

Chacun ensuite interprétera comme il voudra ce gain de compétences dans la manipulation des bébés: comme une glorieuse conquête égalitaire ou le paradoxe d’une société sans enfant qui hisse la puériculture au rang d’impératif catégorique.