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La paranoïa vient aussi du ciel

Le vote du 27 septembre sur l’achat de nouveaux avions de combat prend une tournure plus technique qu’idéologique. Ce qui n’empêche pas les décrochages.

Comme ils ne doivent que moyennement respecter les gestes barrières, on dira que les complotistes se frottent leurs mains sales. Il se trouve en effet que la Suisse a enregistré durant les 7 premiers mois de l’année 2020 moins de décès que lors des précédentes années sur la même période. 538 de moins par exemple qu’en 2019. Sapristi. Nous cacherait-on des choses?

Le département de la Défense, lui, ne saurait être sérieusement taxé de complotisme aigu, même si on pourrait le chicaner sur sa propension à imaginer que le danger vient toujours et surtout du ciel. Il ne paraît pourtant pas non plus se soucier beaucoup de la menace épidémiologique. Que dit en effet, à l’heure d’une deuxième vague supposée et à l’orée de l’automne de tous les dangers, sa grande prêtresse, la brigande Viola Amherd: «Si nous voulons continuer à protéger la population, il n’y a plus le choix: il faut acheter de nouveaux avions de combat.» Pour abattre les gouttelettes de virus en plein vol?

L’absence de choix, le «no alternative» a toujours été un des arguments préférés des militaires, si l’on peut appeler cela un argument. Sans eux, et surtout sans leurs coûteux joujoux, plus rien n’est possible, plus rien n’existe. Le monde s’arrêtera de tourner ou du moins la Suisse disparaîtra dans la seconde où le dernier F/A-18 sera envoyé à la casse.

Le peuple va donc une nouvelle fois, le 27 septembre prochain, se prononcer sur l’achat de ces fameux avions. Mais cette fois, mauvaise nouvelle pour ceux qui n’aiment guère les prises de tête et autres efforts intellectuels, le débat semble plus technique qu’idéologique comme au bon vieux temps.

La faute surtout à la principale force de gauche, le PS, qui a mis pas mal d’eau de vaisselle dans son venin antimilitariste, allant même jusqu’à proposer, tiens, une alternative: un avion italien plus léger, moins coûteux mieux adapté, selon les camarades, à la réalité des menaces actuelles, à savoir «les missiles et les drones légers» plutôt «qu’un avion d’une puissance étrangère qui traverse tout le ciel de l’OTAN sans être repéré ni intercepté».

De toute façon, le peuple ne se prononcera que sur le principe de l’achat, pas sur le type d’avion, qui sera choisi ensuite par la Confédération, entre le Rafale français, l’Eurofighter allemand, le Super Hornet de Boeing et le F-35A de Lockheed Martin, tous deux américains

Quand elle le veut,Viola Amherd sait être drôle. Par exemple lorsqu’il s’agit de répondre aux reproches de vendre, avec cette votation, «chat en poche»: «C’est comme quand on achète une voiture ou un vélo: la plupart des gens vont d’abord se demander s’ils ont besoin d’un véhicule pour la ville, pour la montagne ou pour la campagne. Seuls les passionnés se focalisent sur une marque ou un modèle.»

Espérons pour Viola Amherd que le votant ne va pas se poser la question de savoir s’il a besoin d’avions de combat en ville, à la campagne ou à la montagne. Il y aurait alors gros à parier que seuls «les passionnés» sauront donner une réponse patriotique à cette drôle d’interrogation.

Mieux vaut, peut-être, après tout, que le choix du modèle d’avion ne soit pas compris dans le débat. Plus monomaniaques que les militaires en effet cela se trouve. Chez les journalistes et les politiciens par exemple qui auront posé froidement cette question: «Veut-on vraiment acheter des avions à l’Amérique de Trump?».

Ce qui est à peu près aussi malin que de cracher sur le caviar de Poutine. D’autant que si c’était un des deux modèles américains qui était retenu, la faute en partie en incomberait à toutes celles et ceux, parmi lesquels peu de trumpistes, qui auront torpillé le Gripen suédois en 2014. Et que quand ces avions seront achetés et qu’ils voleront réellement dans l’immaculé ciel suisse, soit à partir de 2025, ils ne seront plus ceux de Trump. Il y a même des chances pour qu’ils soient devenus, par la vigoureuse magie de la démocratie américaine, les avions d’une femme noire et démocrate.