LATITUDES

«Résolution» et les autres mots de mai

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «résolution», «métaphore» et «exponentielle».

Résolution

Les résolutions prises durant le confinement connaîtront-elles le sort de celles de début d’année, à savoir l’oubli?

L’écrivain-voyageur Sylvain Tesson, confronté à une forme de confinement suite à un grave accident, rapportait dans son journal: «Et  si nos malheurs venaient de ce que nous vivons à trop grande échelle? J’ai la subite envie de m’inventer une vie au 1/25 000 (…) Accueillir des pensées universelles en cultivant un lopin. Ne côtoyer que les gens qu’on peut aller visiter à pied. Ne manger que les produits de sa propre région.» Sitôt rétabli, le bourlingueur s’est empressé de rattraper les kilomètres perdus pendant sa sédentarité contrainte. Vive le retour à des expériences à grande échelle!

Le 27 avril dernier, combien d’ex-confinés, résolus à passer au manger local, attendaient-ils dans les files d’attente des MacDrive?

Métaphore

Que de métaphores utilisées par les politiciens pour qualifier la pandémie de Covid-19! En Suisse, Alain Berset a abandonné le recours au «marathon» au profit du «chemin de crête». Une appellation plus adéquate qui intègre le danger constitué par un simple faux pas et la notion de vertige liée au déplacement dans des conditions d’équilibre fragile. Mais elle n’en réduit pas moins la complexité du problème.

Y a-t-il vraiment un bénéfice à tirer de l’usage de telles comparaisons un rien infantilisantes? Steven Taylor s’en méfie. Ce professeur en psychiatrie, auteur de «Psychology of Pandemics», paru en octobre 2019, estime que la psychologie a beaucoup à apporter à l’élaboration du discours officiel en temps de crise. Il est crucial pour lui que les politiciens s’expriment de manière transparente, en veillant à éviter dissonances et contre-discours. «Il faut s’en tenir strictement aux faits, ne pas abuser des métaphores, ne pas parler au conditionnel (…) Il faut aussi démentir les fausses nouvelles au plus tôt.»

Mais déjà le déconfinement suscite ses métaphores. Ainsi, un psychologue québécois estime que «nous sommes comme des veaux au printemps». S’y reconnaîtra qui veut.

Exponentielle

«C’est quoi une exponentielle?»  À l’heure de la reprise, les profs de math pourraient bien enregistrer ce genre de question. Devenue familière à nos oreilles depuis le début de la pandémie, cette notion n’en demeure pas moins toujours réfractaire à notre compréhension.

En excellent pédagogue, Jacques Dubochet a tenté de l’expliciter dans la presse avec l’exemple des nénuphars qui doublent de surface tous les jours à l’image de la propagation du Covid-19 à ses débuts. «En mathématique, on appelle une telle progression, si peu intuitive, une exponentielle. Elle part sans se faire remarquer, pendant longtemps, on n’y voit rien, mais quand on y voit quelque chose, on est pris de court, elle explose, laissant chacun décontenancé par la vitesse de la progression», explique le prix Nobel.

La légende de l’échiquier de Sissa connue sous le nom de «problème des grains de blé» illustre aussi la démesure d’une progression exponentielle. Il s’agit de placer un grain de blé sur la première case d’un échiquier. Si on fait en sorte de doubler à chaque case le nombre de grains de la case précédente, combien de grains de riz obtient-on au total? Le résultat est 18 446 744 073 709 551 615 grains. Un nombre jamais supputé qui nous dépasse.

Et c’est bien là que réside la difficulté rencontrée par tout un chacun à l’égard des exponentielles. Parce que contre-intuitives, même pour les scientifiques, elles sont à l’origine des nombreux biais cognitifs relatifs à la croissance non contrôlée de la pandémie actuelle qui est précisément exponentielle.