GLOCAL

Vous avez dit extraordinaire?

La session délocalisée du parlement aura surtout servi à signer des chèques en blanc, rappelant la clientèle de chacun.

Cette session avait beau s’intituler «extraordinaire», ce qui s’y est passé relève à première vue du très ordinaire et du guère étrange. Réunies dans la halle de BernExpo, les chambres fédérales se sont en effet appliquées à faire ce que tout parlement, sous toute latitude, fait généralement le plus souvent et le mieux: dépenser.

Pour caricaturer, on pourrait presque dire que c’est précisément là que passe la ligne de séparation définitive entre la gauche et la droite. Toutes deux sont munies du même arrosoir, seule l’identité et la nature des arrosés changent. Grosso modo, l’armée, les entreprises, les propriétaires pour la droite, et tous les autres pour la gauche. Le reste n’est que gesticulation.

Concédons toutefois qu’il y avait quand même sous le chapiteau de BernExpo quelque chose d’inhabituel dans l’air. Mais c’était surtout l’importance du montant à dépenser. Jamais en effet le Parlement n’avait eu à valider une aussi colossale addition: 57 milliards de francs débloqués par le Conseil fédéral en guise de baume sur les plaies socio-économiques engendrées par la crise sanitaire.

Le Parlement aime d’ailleurs tellement ça, dépenser, qu’il en a même rajouté deux petites couches, dont l’exécutif ne voulait pas, et concernant des activités dont le rapport avec la pandémie et ses dommages ne sautera pas immédiatement aux yeux d’un esprit simplement orthodoxe ou bêtement pingre. Près de 65 millions ont donc été débloqués pour venir en aide aux crèches, et la même somme pour soutenir les médias. Avec chaque fois des arguments irréfutables, chacun ayant toujours besoin de quelque chose, si on cherche bien, virus ou pas.

Certes on pourrait dire que cette fois les parlementaires n’avaient pas trop le choix et qu’il leur fallait bien, contents ou pas, signer les chèques en blanc déjà dépensés par le Conseil fédéral. On admettra aussi que les circonstances étaient tout à fait exceptionnelles. Pourtant chacun a réussi à faire la preuve que son rapport à l’argent public était moins dicté par le besoin réel des récipiendaires que par des pulsions idéologiques tellement irrésistibles qu’elles ne meurent jamais même au temps de la grande peste.

C’est ainsi que la gauche et tout particulièrement les Verts ont tempêté comme jamais contre l’aide apportée au transport aérien, un des secteurs pourtant les plus durement impactés par le désastre covidien. Les avions, les Verts les avaient déjà sérieusement dans le nez avant le virus: ils ont donc fait comme si rien ne s’était passé. Comme si on en était encore au joli temps où le principal souci du monde concerne le réchauffement climatique.

Leur slogan «la vie avant l’avion» pourrait d’ailleurs être décliné, peur au ventre, sur plusieurs modes: la vie avant le train, la vie avant le restaurant, avant les festivals, la vie avant tout, sans risque ni aventures, avec en guise d’horizon rassurant le confinement éternel.

La droite a su se montrer tout aussi sectaire, par ses hésitations et manœuvres autour du soutien à apporter aux commerçants, spécialement aux restaurants, sous forme de diminution ou report de loyer. Il faut dire qu’elle était prise là entre deux feux, à devoir choisir laquelle de sa clientèle habituelle mécontenter, les entreprises ou les propriétaires. Au point de créer un désaccord entre les deux chambres rendant impossible pour l’heure la prise de décision, alors que les faillites sont au coin de la rue.

Notons enfin que cette petite séance hors les murs du Parlement aura quand même coûté la bagatelle de 3,7 millions. Même si on n’en était plus à cela près, voilà, dira-t-on au Café du commerce, dès sa réouverture, voilà au moins qui est extraordinaire.