Défenseur des libertés individuelles, le Lausannois a mené de front une carrière littéraire et politique. Il a marqué son époque par sa pensée avant-gardiste, encore étudiée aujourd’hui dans les universités américaines.
Romancier acclamé, auteur d’Adolphe, certifié roman lausannois le plus lu au monde, Benjamin Constant, né en 1767, au 7 de la place Saint-François, aurait pu rester dans l’histoire uniquement pour la qualité de sa plume. Mais une rencontre décisive bouleverse sa carrière: en 1794, dans le quartier de Montchoisi, il fait la connaissance de la romancière Germaine de Staël. Native de la capitale vaudoise également et fille du ministre Jacques Necker, elle est la reine des salons parisiens. «Subjugué par son éloquence, il a un coup de foudre intellectuel et sentimental pour celle qu’il considère comme son égale», raconte le professeur d’histoire moderne Léonard Burnand, directeur de l’Institut Benjamin Constant à l’Université de Lausanne et auteur en 2022 du roman haletant Benjamin Constant, primé par l’Académie française.
Pour conquérir Madame de Staël et échanger avec elle, l’écrivain lui envoie cinq lettres par jour et la fréquente assidûment dans les lieux où elle séjourne au bord du lac Léman, tel le Château de Coppet – où est conservée une partie de leur correspondance – et celui de Mézery. Il va jusqu’à casser sa montre pour qu’elle n’affiche pas l’heure à laquelle il doit la quitter. Ils forment un couple – orageux – dès 1796.
C’est Madame de Staël qui réveille chez Benjamin Constant l’homme d’action derrière l’homme de lettres. Monté avec elle à Paris, il devient un auteur prolifique dans la presse d’opinion et lutte contre toutes les formes de censure. Théoricien, mais aussi praticien de la politique, il est élu député en 1819, devenant le chef de file de l’opposition libérale. «Benjamin Constant défend les droits individuels sans promouvoir un individualisme intégral. Il prône le respect de la sphère privée tout en incitant les citoyens à s’impliquer dans la vie publique», résume Léonard Burnand. Près d’un siècle après sa mort, sa renommée n’a pas faibli: aux États-Unis notamment, où la liberté est une valeur centrale de la Déclaration d’indépendance, ses textes politiques figurent toujours au programme des universités.

Celui qui a connu la gloire de son vivant a été honoré, en 1830, par des funérailles triomphales en France: un cinquième des Parisiens ont accompagné son cercueil jusqu’au cimetière du Père-Lachaise. Benjamin Constant n’en est pas moins un enfant de Lausanne qui lui a dédié une place, une avenue et quatre plaques commémoratives.
Lausanne, encore, qui a servi de décor aux moments-clé de son existence: il y a perdu sa mère, morte en couches à sa naissance, et y a rencontré Madame de Staël, la femme de sa vie. La capitale vaudoise fut aussi le témoin du dernier acte de leur passion: en 1811, c’est à la rue de Bourg qu’ils se sont quittés.
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (no 15).
