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Prévention des accidents: il n’y a toujours pas d’égalité homme-femme

Les simulations de crash-tests n’utilisent pas de mannequins féminins, alors que des études révèlent que les femmes auraient plus de risques de subir des blessures graves.

Il se nomme «SET 50F». C’est le premier mannequin à crash-test fidèle à la morphologie féminine moyenne. Conçu par Astrid Linder, chercheuse à l’Institut suédois de recherche sur la sécurité des transports, et parfaitement opérationnel, le modèle n’est pourtant pas encore utilisé dans les tests de collision que doivent subir les véhicules avant leur mise en circulation.

Ces simulations n’utilisent pour l’heure que les mannequins femmes de petite taille (1,51 m pour 48 kg), alors que le mannequin de taille médiane (1,75 m pour 77 kg) reproduit la morphologie masculine.

Pour certains, ces mesures suffisent, car elles permettent d’évaluer la sûreté pour un large spectre de taille et de poids. Mais selon Astrid Linder, la réalité est plus complexe. La répartition de la masse et la morphologie du corps ainsi que la résistance des muscles et des ligaments diffèrent selon le sexe. En clair, même à taille et poids égaux, les corps masculins et féminins ne réagissent pas de la même façon aux chocs.

Chiffres troublants

Dans une étude publiée en 2019, Astrid Linder fait part de chiffres troublants: les femmes ont 47% plus de risques de subir des blessures graves que les automobilistes masculins en cas de collision. Pour les blessures légères, le rapport passe même à 71%. Les femmes seraient aussi deux fois plus susceptibles de subir des blessures dues à un coup du lapin.

Ces résultats ont été obtenus après correction de plusieurs paramètres collatéraux, notamment les effets de l’âge, de la masse, du changement de vitesse ou encore du type de carrosserie du véhicule. La même année, une étude de l’Université de Virginie parvenait à une conclusion similaire: les femmes auraient 73% plus de risques de subir des blessures graves en cas d’accident. Les véhicules en circulation sur nos routes protégeraient donc moins bien les femmes que les hommes.

Pourquoi cette iniquité persiste-t-elle encore aujourd’hui, malgré une littérature scientifique abondante depuis les années 60? «Le règlement en vigueur est clair: les mannequins doivent reproduire la stature moyenne d’un homme. Ces normes étant définies de façon multilatérale à l’international, il est difficile de les faire changer», explique Astrid Linder. «Mais les lignes commencent à bouger. Certains constructeurs s’intéressent à la problématique et on commence à recevoir un soutien politique.» La chercheuse a notamment perçu des fonds de la Suède et de l’Europe pour mener ses études et mettre au point le mannequin SET 50F.

En Suisse aussi, des voix s’élèvent pour une meilleure prise en compte de la sécurité des femmes. «Une protection optimale doit être assurée pour tous et cela passe par l’emploi des mannequins représentant la diversité des occupants d’un véhicule», explique Jordan Girod, porte-parole du TCS.

D’autres se montrent toutefois plus sceptiques quant à l’efficacité de la démarche. «La recherche scientifique peine à établir incontestablement que le risque de blessure grave est considérablement plus élevé pour les femmes lors de collisions frontales ou latérales», estime Lucien Combaz, du Bureau suisse de prévention des accidents (BPA). Par ailleurs, une mobilisation en vue de changer la réglementation internationale serait coûteuse et pas forcément efficace.

Pour le BPA, les mesures de prévention des accidents les plus efficaces résident plutôt dans la sécurité «active». «Nos efforts se concentrent plutôt sur la sensibilisation au bon usage des systèmes d’assistance et sur la formation à la conduite. Imposer au niveau international l’utilisation d’un mannequin femme demanderait de mobiliser beaucoup de ressources pour des résultats incertains.»

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans la Tribune de Genève et le «24 heures».