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«Marathon» et les autres mots d’avril

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «marathon», «chez soi» et «post-confinement».

Post-confinement

Il y aura un avant et un après, s’accorde-t-on à dire au sujet de notre vécu actuel. L’avant, on le connaît, avec son trop de ceci, trop peu de cela. L’après, déjà nommé «post-confinement», est l’objet de mille projections. Hormis les sages, chacun y va de sa prédiction.

Mais quid de l’entre-deux que nous vivons? Quel chrononyme s’appliquera-t-il à cette tranche d’histoire? Les chrononymes désignent des appellations qui caractérisent les époques, les périodes ou les âges de l’Histoire. Ces divisions imaginaires du temps ont pour noms: Moyen-Age, Risorgimento, Fin de siècle, Années folles ou de plomb, Trente Glorieuses, Entre-deux-guerres, etc. Une lecture à ce sujet: «Les noms d’époque», de Dominique Kalifa (Gallimard).

Cessera-t-on alors de faire usage du préfixe «post», déjà associé au post-industriel, au post-moderne, à la post-vérité ou au post-humanisme, pour qualifier l’événement qui immobilise trois milliards d’êtres humains? Emmanuel Macron parle de «guerre», Edgar Morin de «grande mutation», les médecins «d’ère virale», les psychologues d’«époque de distanciation», les sportifs de «temps de frustration». Il semble encore trop tôt pour dire ce que l’on retiendra.

Marathon

De nombreux joggeurs espéraient concrétiser un de leur rêve cette année: courir un marathon. Ils avaient payé leurs inscriptions en avance et transpiraient depuis sans relâche, l’hiver sans neige facilitant leurs entraînements. Alors que les kilomètres défilaient de plus en plus allégrement, tout semblait concourir au succès de leur défi. Ils étaient prêts pour le marathon de Paris du 5 avril, pour celui de Londres du 26 avril ou pour tant d’autres, désormais tous reportés ou annulés.

La métaphore d’Alain Berset les console-t-elle de leur frustration? Pour notre ministre de la santé, «la crise que nous traversons est un marathon» et nous n’avons pas encore franchi le fameux mur du 30ème kilomètre, soit le pic de l’épidémie. Cette comparaison tiendra-t-elle la route? Peu réaliste, elle risque bien de s’essouffler rapidement.

Nous aurions donc tous pris le départ d’un marathon, une compétition sportive certes exigeante mais avec nettement moins d’inconnues que l’épreuve que nous traversons actuellement. Dans un marathon, on peut reconnaître son parcours: il y a un départ et une arrivée, avec peu de dénivellation entre les deux. On est familier avec la nature de l’effort à fournir pour s’y être entraîné. Bref, on sait ce qui nous attend et on se réjouit des éléphants roses qui nous accompagneront bien au-delà des 42,195 kilomètres!

Mais rien de tel pour une course contre la montre face à un virus assassin. Méfions-nous donc des métaphores trompeuses!

Chez soi

«Rester chez soi», une injonction ici, un ordre là. La consigne donne l’occasion de reconsidérer notre rapport à l’espace qui nous confine. Les témoignages de confinés permettent de lister les appellations variées qui lui sont attribuées. De prison à cocon, l’éventail est large: cage, refuge, piaule, foyer, cellule, radeau, abri, île, crèche, garçonnière, demeure, logis, taudis, etc. Autant de perceptions qui traduisent des différences vertigineuses dans le confort ou l’inconfort. On relèvera que les personnes qui vivent seules s’expriment davantage, d’où le renvoi fréquent à des espaces réduits.

 

La situation donne l’occasion de réfléchir à la fonction d’habiter. Victor Hugo l’a traitée à merveille. Pour Quasimodo, écrit-il, Notre-Dame avait été successivement «l’œuf, le nid, la maison, la patrie, l’univers […] C’était sa demeure, son trou, son enveloppe […] Il y adhérait, en quelque sorte comme la tortue en son écaille.» Cette citation dénichée dans «La poétique de l’Espace» de Gaston Bachelard invite à découvrir son ouvrage qui fait appel à un ingrédient bienvenu en ce moment de «chez soi»: l’imaginaire.