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«Bleu» et les autres mots de janvier 2020

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur notre usage des termes «bleu», «banc» et «fuck».

Bleu
Si je devais mourir aujourd’hui, je dirais comme la poétesse américaine Maggie Nelson que mon amour du bleu a été l’une des sensations les plus plaisantes que j’aie connues dans ma vie. Or, il se trouve que le Pantone Color Institute a désigné le «bleu classique» (Classic Blue Pantone 19-4052) comme couleur phare de l’année 2020. On l’appelle «anti-anxiety blue». Une teinte associée au calme et à la sérénité qui devrait inonder cette année la mode, la déco et l’industrie.

«Bleuets», l’essai de Maggie Nelson, interroge notre rapport aux couleurs. C’est une méditation intime autour du bleu, une déclaration d’amour à la couleur que choisissent de nos jours, en Occident, la moitié des adultes comme couleur préférée (les enfants préfèrent le rouge). «Le bleu est une couleur consensuelle, pour les personnes physiques comme pour les personnes morales: les organismes internationaux, l’ONU, l’Unesco, le Conseil de l’Europe, l’Union Européenne, tous ont choisi un emblème bleu. C’est une couleur qui ne fait pas de vague, ne choque pas et emporte l’adhésion de tous», affirme Michel Pastoureau, historien des couleurs.

Une immersion dans le bleu parviendra-t-elle à apaiser les manifestants, verts de colère, descendus dans la rue en 2019?

Banc
Fondée par des «bancophiles», l’Association pour la promotion de la culture des bancs (Bankkultur) a lancé, en 2019, un appel à la population pour effectuer un recensement des bancs «touristiques» afin d’établir une «carte banc’aire» de la Suisse. Un pays où prolifèrent des bancs accueillants, installés face à des paysages grandioses. L’initiative est certes louable mais mériterait d’être complétée par une signalisation des bancs hostiles ou manquants dans les lieux publics.

Dans les lieux publics, les bancs se font bizarres: sans dossiers, en béton ou en acier, à forte inclinaison, traversés par des accoudoirs, remplacés par des assises individualisées ou des appuis ischiatiques. Du mobilier anti-SDF visant à faire fuir certains types de populations. Quant aux endroits où ils paraissent indispensables, ils font souvent cruellement défaut. Le mobilier urbain, les bancs en particuliers, est victime de «l’architecture du mépris». Une terminologie empruntée à Mickaël Labbé, dont l’essai «Reprendre place: Contre l’architecture du mépris» dénonce les symptômes «d’un espace public malade, qui se construit contre ses habitants». Pour ce spécialiste d’architecture, les espaces publics subissent «une attaque en règle contre la dimension communautaire et partagée des lieux».

Avec son «Banc Anti-public», l’artiste Isabelle Rolin cherche elle aussi à souligner l’absurdité et les dérives d’un mobilier de plus en plus hostile. «Sommes-nous d’accord avec une telle ineptie?», questionne-t-elle.

Fuck
Le mot de quatre lettres abonde dans la culture populaire. Ainsi, le rappeur 911 et le groupe de Hip Hop 13 Block ont indigné l’Etat français avec leurs récents titres intitulés «Fuck le 17». Le terme ne choque en revanche personne lorsqu’il apparaît sur les couvertures de bouquins en anglais mais aussi, depuis peu, en français et en allemand. Les titres qui contiennent Fuck ou F**k prolifèrent: «Celle qui a dit Fuck», «Fuck les régimes!», «Fuck l’estime de soi», «F*ck les connards», «F*ck l’amour».

D’expression vulgaire dans la bouche du rappeur Booba, «fuck» a perdu tout son impact subversif en débarquant en librairie avec une «shock value» et une acception synonyme de ras-le-bol et de rejet. Interrogée à ce sujet, la libraire d’une grande enseigne suisse romande avance: «La plupart de ces titres provocateurs visent à contrecarrer les innombrables publications aux injonctions à l’amélioration de soi et à la quête du bonheur que l’on trouve au rayon «développement personnel»».

Ainsi Alice, l’héroïne de «Celle qui a dit Fuck», cesse de courir après la perfection. Elle a décidé de «se foutre la paix» pour devenir «celle qui a dit Fuck, imparfaite mais fière de l’être». Même message dans les autres ouvrages consultés: place au «lâcher prise» et au «ras-le-bol de la pensée positive».

Pourquoi obtempérer à ces deux types d’injonctions contradictoires? Fuck les injonctions!