GLOCAL

Tomber dans le panneau

Avec ses signalisations inclusives Sandrine Salerno a eu son heure de gloire, quitte à incarner un instant le degré le plus ténu de l’action politique.

Il est facile et bien normal de vouloir se faire plaisir quand on a des responsabilités politiques, ce qui n’est pas drôle tous les jours. Il suffit, plutôt que de plonger ses blanches mains dans le cambouis toujours plus gluant d’une réalité complexe, de se réfugier dans le monde nettement plus simple et plus valorisant du noble principe ou de la sacro-sainte mais combien paresseuse prévention.

On imagine volontiers à cet égard la joie de la maire de Genève Sandrine Salerno d’avoir su intéresser des télévisions alémaniques, belges et françaises. Grâce à cette grande idée de panneaux signalétiques arborant des effigies féminines. Sandrine Salerno, qui n’est pas tombée de la dernière pluie, avait certes anticipé la volée de bois vert: «Certains verront dans cette opération un symbole aux allures de gadget.» On ne peut rien lui cacher.

Peut-être déjà l’intérêt des médias étrangers aurait-il dû l’alerter, sachant bien que la Suisse ne fait parler d’elle que sur des questions parfaitement anecdotiques mais à valeur symbolique ajoutée, sans rapport donc avec les vrais problèmes. Le chômage, la précarité, les fins de mois difficiles, l’insécurité, la radicalisation religieuse, présents à des degrés bien plus forts à l’étranger, ne sauraient intéresser quand cela se passe en Suisse. Reste donc le folklore.

Or la juste lutte pour l’égalité des genres abordée de cette dérisoire et triviale façon n’est sans doute rien d’autre que de l’inoffensif folklore. C’était bien joué évidemment pour l’ego de Sandrine Salerno. Maire de Genève, on ne l’est que pour une année et cela passe vite une année: les manières de marquer le passage ne sont pas si nombreuses.

On peut ainsi parier que ce sera là le seul et unique effet de cette tonitruante opération: faire parler de Madame la maire. On comptera pour beurre les légers dégâts collatéraux consistant rien qu’avec une broutille à réveiller la bête et ses rancunes faisandées, comme le confesse Sandrine Salerno elle-même: «En 13 ans de politique j’ai rarement eu autant de réactions violentes, misogynes et conservatrices.»

La cause était bonne bien sûr et la question en jeu plus vaste que l’opération elle-même, puisque Madame la maire entendait «questionner notre perception de la société et la place des femmes dans l’espace public». Vaste et beau programme qui n’a pas empêché un déluge de mécontentements et de quolibets, même à gauche, même de la part des femmes.

Tous les reproches faits à Sandrine Salerno ne sont pas de la même pertinence. Parler de gaspillage d’argent public pour 56 000 malheureux francs, quand il s’agissait de rendre Madame la maire plus contente d’elle-même, c’est un peu mesquin. Et puis ces panneaux avec des silhouettes féminines croquées dans tous leurs états – enceintes, vieilles, en couple… –  au pire ne feront de mal à personne.

Certains soutiens apportés à la démarche ne se sont pourtant pas toujours révélés plus futés. Le pompon revient peut-être à la nouvelle conseillère nationale Léonore Porchet: «Le manque de visibilité des femmes dans les espaces publics contribue à les exclure…» Ce qui est sans doute ramener les femmes à de pauvres et faibles créatures qu’elles ne sont évidemment pas.

D’autres critiques en revanche paraissent plus fondées. Il est assez rare que la vérité sorte toute nue de la bouche de l’extrême gauche pour ne pas saluer la fort avisée remarque d’une Salika Wenger (Ensemble à gauche) estimant que s’agissant de soutien aux femmes il y avait peut-être des mesures plus urgentes et surtout plus réelles, comme l’égalité salariale ou l’accès facilité à des appartements pour les familles monoparentales.

 

Mais cela, c’est évidemment plus compliqué que de faire joujou avec des panneaux de signalisation. Bien sûr il y a encore plus facile et plus paresseux que de mener une politique de gadget, c’est de ne pas mener de politique du tout, ou plus aisé encore de se contenter de commenter ce néant.