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L’insubmersible air du temps

L’acquittement des activistes du climat et le référendum contre l’extension de la norme antiraciste à l’homophobie donneraient à penser que la liberté d’action compte désormais bien plus que la liberté d’expression.

L’air du temps est à la mode. C’est cette notion vague, et un peu mélancolique, qu’invoque par exemple ceux qui avaient défendu l’écrivain Gabriel Matzneff pour justifier aujourd’hui ce soutien de naguère à celui qui passe désormais, sauf aux yeux de derniers grognards comme le psychanalyste et écrivain Roland Jaccard, pour l’affreux des affreux.

C’est aussi ce même air du temps que les milliers d’accusateurs publics improvisés prennent comme bannière pour clamer sur tous les tons que désormais certaines pratiques, telles les relations sexuelles consenties entre majeurs et mineurs, doivent être absolument considérées comme un crime à punir sans pitié.

L’air du temps ne s’en tient pas là. Deux affaires actuelles chez nous donneraient à penser qu’il est en train d’opérer un renversement spectaculaire de paradigme. On veut parler du procès qui s’est tenu à Renens contre des activistes climatiques ayant occupé des locaux de Credit Suisse et qui s’est terminé par un acquittement au retentissement mondial. Mais aussi du référendum sur lequel nous nous prononcerons le 9 février prochain contre l’extension de la norme antiraciste à l’homophobie.

De ces deux cas, on pourrait conclure, pour caricaturer un brin, que d’un côté la liberté d’expression se voit de plus en plus considérée comme quelque chose qui peut, à bon droit,  être rabotée pour la juste cause, alors que d’un autre côté, au contraire, la liberté d’action ne paraît plus connaître de limites légales.

C’est ainsi au nom de la liberté d’expression que l’Union démocratique fédérale (UDF), suave assemblage d’anciens de l’extrême-droite et du parti évangélique, avait lancé son référendum contre l’extension de la norme antiraciste et que l’UDC le soutient. Mais c’est aussi la droite la plus musclée, Parti radical en tête cette fois, qui s’indigne de l’extension de la liberté d’action, en fustigeant l’acquittement accordé aux activistes du climat, estimant que c’était là un blanc-seing donné pour tous les actes délictueux, comme la violation de domicile, Philippe Nantermod y voyant même «le début de la fin». L’occupation des locaux de l’UBS le lendemain de l’acquittement, semblait leur donner raison.

Les progressistes y distinguaient tout au contraire une victoire qu’il fallait considérer comme exemplaire, l’acte délictueux se voyant soudain paré de tous les héroïsmes, au motif qu’il œuvrait au nom d’un intérêt supérieur prépondérant. En l’occurrence l’urgence climatique, qui est sans doute la chose la plus densément et mondialement présente dans l’air du temps. On ne peut plus rien dire mais on peut tout faire, ou à peu près: voilà où paraît nous conduire, la bouche en cœur et au nom du bien, l’air du temps.

Un air qui souffle tellement fort qu’un bretteur enragé comme le conseiller national UDC Roger Köppel n’a plus guère d’autres arguments pour rejeter l’extension de la norme antiraciste à l’homophobie que de plaider pour une parole qui resterait «décontractée». Face à la puissance de feu des bons sentiments en tout genre, cette décontraction paraît bien légère, pour ne pas dire ringarde.

On peut bien regretter avec la rédaction de Charlie Hebdo «célébrant» les cinq ans des terribles attentats de janvier 2015, que cette liberté d’expression soit de plus en plus mise à mal, aussi bien par le fanatisme religieux que par la molle bien-pensance. On peut bien aussi regretter avec les tenants de l’ordre et de la propriété, l’indulgence grandissante de la justice face aux déprédations à nobles motifs. On voit mal comment la tendance pourrait s’inverser. Tant, du moins, que l’air du temps restera dans l’air du temps.