KAPITAL

Les petites mains du WEF

Ils sont agents de sécurité, serveurs, cameramen… Sans eux, la rencontre annuelle du World Economic Forum ne pourrait avoir lieu. Rencontre avec quelques-uns de ces travailleurs de l’ombre.

«C’est aussi éprouvant que formateur», raconte Fabien*, qui a participé trois fois au World Economic Forum (WEF). Venu à Davos en tant qu’employé en 2012 pour la vidéo, il est retourné dans les Grisons en tant qu’indépendant les deux années suivantes.

S’il admet que sa principale motivation était financière, «parce qu’on y est assez bien payé, pour le secteur», il reconnaît aussi que les hautes exigences l’ont ensuite aidé à structurer son activité professionnelle. «Cela m’a énormément appris. L’organisation se prévaut de standards de qualité très élevés, et les applique en effet. Mais c’est intense. Quand on arrive, cinq jours avant le démarrage du Forum, l’effervescence est la même que pendant la rencontre elle-même!»

Si près de 600 personnes travaillent à l’année pour l’institution (450 au siège de Genève, une centaine à New York, une vingtaine à Beijing et quelques-unes à Tokyo), un complément constitué de 150 à 200 nouvelles forces est engagé spécifiquement pour la rencontre de Davos, indique Micol Lucchi, chargée de communication au WEF. Les compétences recherchées sont très diverses: gardes du corps, policiers, serveurs, mais aussi menuisiers, chauffeurs et spécialistes de la sonorisation.

Beaucoup des travailleurs engagés par le WEF, issus des quatre coins du monde, avec une majorité de Suisses et de ressortissants de l’Union européenne, reviennent d’ailleurs d’année en année. De plus, «1800 personnes travaillent indirectement pour le Forum, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas embauchées par l’organisation mais œuvrent pour la réunion annuelle ou des événements annexes.» On pense là à l’armée, aux forces de police, au personnel hôtelier de la station grisonne, pour ne citer qu’eux.

Une équipe considérable pour accueillir les 2500 participants que forment les dirigeants politiques, chefs d’entreprises, leaders économiques et représentants de la société civile réunis pour l’occasion. «Nous ne faisons pas appel à des bénévoles: tout employé est rémunéré», précise Micol Lucchi. Cela dit, chaque engagé n’est pas forcément un professionnel aguerri. «Nous avons des étudiants et des travailleurs free-lance, par exemple, qui contribuent au succès du forum et viennent pour l’expérience professionnelle.»

Une expérience qui peut s’avérer un peu frustrante quand on ne possède pas encore une énorme pratique dans son domaine, comme en témoigne Fabien. «Sur le plan de l’intérêt pour la tâche même, ce n’était pas très passionnant. J’avais à filmer des interviews, des petites choses.» Les missions à haute responsabilité sont forcément réservées aux plus chevronnés. «C’est un milieu où on n’a pas le droit à l’erreur. Plusieurs personnes ont été renvoyées au cours de leur mandat!»

Si les neuf jours de travail, contenant la préparation et l’événement proprement dit, constituent déjà une expérience de choix, le défi est ensuite de se voir proposer un mandat pour l’après-forum. Ce qui a été le cas de Fabien, avec à la clé trois à quatre semaines de travail supplémentaires: «Avec la vidéo, on produit énormément de matériel, qui sera ensuite utile au WEF pendant toute l’année. Comme ils n’ont pas le temps de faire le montage eux-mêmes, ils n’hésitent pas à mandater des personnes en plus pour s’en charger.»

Autre contrainte, très stricte: les périmètres de déplacement. Un système de badges colorés, allant du bleu foncé au blanc, définit clairement les accès et privilèges de chacun. Du fait de la zone rouge qui entoure le village de Davos, «il y a des contrôles comme à l’aéroport», témoigne l’ancien employé. «Les aspects sécuritaires sont très lourds. En plus, selon les années, l’élément météo peut perturber l’organisation. En 2013, on a dû faire avec une neige comme on en voit rarement, ça ne facilitait pas les choses.» Les journées de travail sont longues, de 6h30 à 20h00, au mieux. «Selon le lieu où on travaille, on ne voit pas la lumière du jour. On est un peu en dehors du monde, mais c’est l’effet qu’ils souhaitent obtenir, je crois.»

En raison des enjeux et des invités, la sécurité est naturellement la préoccupation centrale, et donc le plus grand pourvoyeur d’emplois. L’armée suisse a d’ailleurs fait savoir dans la presse début janvier que «le nombre maximal de militaires pouvant être engagés pour un service d’appui du 13 au 23 janvier 2017 a été limité à 5000 par le Parlement». Dix jours avant le lancement du grand rendez-vous, une centaine de soldats s’activaient à Davos. D’importants travaux de préparation dans les domaines de la sécurité, de la logistique et de l’aide au commandement étaient entrepris.

Puis, durant la rencontre, des militaires professionnels sont mobilisés «en vue d’assurer la protection des personnes et les contrôles d’accès». Les soldats de milice y assument plutôt des tâches logistiques, comme le service sanitaire et la régulation du trafic. Quant aux forces aériennes, elles assurent des patrouilles au-dessus de Davos et de sa région 24 heures sur 24, en collaboration étroite avec leurs homologues autrichiens.

Et pour soutenir l’armée et la police cantonale grisonne, des gendarmes de toute la Suisse sont envoyés en renfort dans la station de ski, qui voit tripler sa population pendant cette semaine de janvier. Les entreprises de sécurité privées, comme Securitas, sont également mises à contribution. Ce qui ne séduit pas toujours certains employés.

«Il faut dire qu’il y a des missions plus variées», soupire Antonia*, qui en est à sa cinquième édition du WEF. Son travail consiste à contrôler les entrées et à surveiller les locaux où les réunions se déroulent. L’activité s’effectue en continuité nuit et jour, avec deux équipes qui se relaient.

Antonia dit passer pas mal de temps à renseigner les participants et à les orienter vers le bâtiment qu’ils cherchent. «Heureusement, on alterne les missions en extérieur et à l’intérieur, parce qu’il ne fait vraiment pas chaud!» Un de ses collègues, qui n’a qu’une expérience datant de l’an dernier, se dit plus enthousiaste. «Ce n’est pas tous les jours que l’on côtoie des dirigeants politiques et des chefs d’entreprises, qui discutent ensemble de l’état du monde! Pour moi, c’est un moment fort de l’année et un privilège de participer à un tel événement.»

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*Prénoms fictifs

Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.