La perspective d’un voyage habité sur la planète rouge n’a jamais été aussi proche. Le pilote français Cyrille Fournier a participé à Moscou à une première simulation d’expédition de l’Agence spatiale européenne. Témoignage.
Etudier la surface, l’atmosphère et les profondeurs souterraines de la planète Mars dans le but d’y découvrir de l’eau, voire les traces d’une vie extraterrestre… Ce cahier des charges pourrait faire partie d’ici dix à vingt ans de la mission quotidienne d’un équipage en visite sur notre lointaine cousine. Deux cent cinquante jours de voyage pour l’aller, 30 jours sur place et 240 pour le vol retour seront alors nécessaires. Une fois sur place, un message envoyé dans l’immensité du système solaire mettra vingt minutes pour atteindre la Terre. Autant dire que pareille aventure, sans doute l’une des plus incroyables de l’histoire de l’humanité, ne pourra se permettre la moindre erreur.
C’est pourquoi l’Agence spatiale européenne (ESA) participe avec l’Institut russe des problèmes biomédicaux (IBMP) au projet Mars-500. Celui-ci simule les conditions d’un vol vers la planète rouge et doit permettre de mieux comprendre les aspects psychologiques et médicaux des vols spatiaux de longue durée. Une première mission d’isolement de 105 jours s’est déroulée avec succès dans le hall de l’IBMP à Moscou. L’équipage, constitué de quatre Russes et de deux Européens sélectionnés par l’ESA sur plus de 5’600 candidats, a bouclé l’expérience l’été dernier. Celle-ci ouvre la voie à une simulation de 520 jours devant démarrer cette année, et qui correspond à la durée totale du voyage réel.
Plus de 70 expériences ont été menées durant cette première simulation. Elles ont notamment étudié les effets de la dynamique de groupe et de la solitude sur l’adaptation dans des environnements extrêmes et confinés, l’influence du stress sur le système immunitaire ainsi que les effets de la lumière bleue sur l’éveil et le rythme du sommeil. Elles se sont également penchées sur les relations homme-machine dans le but de développer un système autonome capable de traiter des situations inattendues et complexes. Des expériences relatives à la nutrition (notamment l’équilibre salin dans le corps humain) ainsi qu’à l’influence du manque de sommeil sur les capacités de psycho-vigilance ont également été réalisées. «Les résultats sont en cours d’analyse, indique Markus Bauer de l’ESA. Nous attendons les premières conclusions dans le courant de l’année.»
L’espace de simulation (d’une surface totale de 242 m2) se compose d’une unité médicale, d’un bloc d’habitation (comprenant 6 chambres individuelles, une cuisine, un salon et une salle de contrôle) ainsi que d’un module de stockage qui intègre un compartiment frigorifié pour la nourriture périssable, des serres expérimentales (permettant de cultiver des légumes et des salades), une salle de gym, une salle de bains et un sauna. A ces trois unités se rajoute encore le module «d’amarsissage» de 6 x 6 mètres, avec lits superposés, toilettes et salle de contrôle entièrement équipée pour la collecte et l’analyse de données. Toutes les installations sont équipées d’égouts ainsi que de dispositifs d’approvisionnement en eau et de systèmes de surveillance et de sécurité contre les incendies.
Un voyage aux contraintes multiples
«Mon principal problème concernait le sommeil, en termes de régularité et donc de qualité, témoigne le Français Cyrille Fournier, l’un des deux participants sélectionnés par l’ESA. On sait tous qu’un déficit de sommeil impacte le relationnel: on devient moins communicatif, moins patient et plus irritable … Cela pourrait devenir un sérieux problème sur le long terme au sein d’un équipage, aussi stable soit-il.»
Parmi les autres contraintes auxquelles seront confrontés les membres de l’équipage dans leur voyage de 520 jours, Cyrille Fournier, qui exerce dans le privé la profession de pilote de ligne chez Air France, cite la promiscuité, la gestion du manque sur les plans affectif et sexuel, et surtout le choc psychologique que pourra provoquer l’incroyable distance qui séparera l’équipage de son berceau naturel: «Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un petit groupe d’hommes va se retrouver à une distance les isolant complètement de la Terre. Même lors des missions vers la Lune, il y a 40 ans, les astronautes gardaient en vue notre planète. D’où une question incontournable: comment réagiront des hommes se sentant totalement perdus au fond de l’Univers?»
A cela s’ajoute un autre problème: à partir du moment où le vaisseau aura acquis la vitesse nominale nécessaire pour le voyage vers Mars, il n’y aura plus de possibilité de revenir en arrière. «Dans le cas d’une avarie ou d’un problème sérieux, l’équipage ne pourra pas inverser les réacteurs pour revenir vers la Terre – même si celle-ci est encore bien en vue, souligne Cyrille Fournier. Le seul moyen pour faire marche arrière consistera à utiliser le champ gravitationnel martien pour infléchir la trajectoire du vaisseau, tout comme l’on se sert actuellement de la Lune ou d’autres planètes pour envoyer des sondes vers leur destination finale.» Ainsi, dès les premiers jours du voyage, l’équipage saura qu’il devra atteindre Mars pour espérer revenir sur Terre…
Cette situation d’isolement extrême implique d’intégrer un concept d’autonomie quasi totale. Il faudra prévoir tout le matériel nécessaire dans le module de stockage, notamment des pièces de rechange en nombre suffisant. L’approvisionnement ultérieur est impossible — à moins d’avoir précédemment «lancé en aveugle» des sondes de ravitaillement… Un autre facteur important concerne le fait de baigner en permanence dans un champ de rayonnements solaires et cosmiques. Il faudra mesurer avec précision — avant l’envoi de la mission réelle — son impact sur l’homme et notamment sur son patrimoine génétique, ainsi que prévoir des protections, même seulement partielles. Pour couronner le tout, l’équipage, qui vivra dans des conditions recréant une pression atmosphérique terrestre, sera complètement déconnecté du cycle de 24 heures qui gouverne la vie sur Terre et garantit une certaine stabilité à ses habitants.
Ces différents aspects mettent en évidence l’importance de la cohésion qui devra impérativement régner au sein du groupe pour le succès de la mission. «Dans leur sélection, les responsables devront privilégier non pas des personnalités mais une équipe capable de cohabiter dans les meilleures conditions durant les 75 semaines que durera le voyage», souligne le pilote de ligne français. Au-delà de leur savoir-faire technique, les membres de l’équipage devront ainsi briller par leurs compétences relationnelles, leur capacité d’adaptation et une très faible propension à l’agressivité…
Les détails techniques du voyage dépendent de progrès technologiques encore à venir. Une chose semble cependant d’ores et déjà acquise: compte tenu du poids total du vaisseau, il est très peu probable que le décollage se réalise directement depuis la Terre. «Il faudra vraisemblablement passer par une station d’assemblage en orbite ou par une base lunaire, souligne Cyrille Fournier. La première option réunit les faveurs des Russes, la seconde celles des Américains.»
Une fois dans le voisinage de Mars, une procédure de mise en orbite débutera, afin que le vaisseau mère reste à proximité de la planète rouge tandis qu’un second vaisseau plus petit transportera un équipage réduit vers Mars. «On reproduira ainsi exactement la même procédure qui a été mise en œuvre par les Américains il y a 40 ans lors de leurs alunissages», relève Cyrille Fournier. A priori, sur l’équipage initial de 6 personnes, 3 resteront à bord du vaisseau mère, tandis que 3 autres partiront poser le pied sur Mars. Ils y resteront une trentaine de jours (terriens) pour y effectuer les expériences, sondages et prélèvements prévus. Avant de revenir, si tout se déroule bien, sains et saufs sur Terre…
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.