LATITUDES

Fin de la ruée vers l’or à Neuchâtel

Dans les Gorges de l’Areuse (NE), on ne se remet pas de l’interdiction de l’orpaillage décidée par les autorités neuchâteloises en début d’année. Dominique Grisard, chercheur d’or passionné, mène le combat contre la prohibition.

Dominique Grisard ne se l’explique pas. Depuis le début de l’année, le Service de la faune neuchâtelois a interdit la recherche d’or dans les rivières du canton. Une décision justifiée par le fait que les orpailleurs détérioreraient les lits des cours d’eau lors de leur chasse au trésor.

Dominique Grisard qui fait partie à Boudry des quelques chercheurs d’or fidèles à l’Areuse, la rivière la plus aurifère du bassin neuchâtelois, juge la prohibition disproportionnée. «On n’a pas pris la peine de consulter les milieux concernés. On nous traite comme une minorité dérisoire.»

Pas plus nombreux que les doigts d’une main, les orpailleurs de l’Areuse ne forment, il est vrai, pas un groupe de pression très puissant. A fortiori, ils ne pèseraient que de manière négligeable sur l’écosystème de la rivière: «Le courant déplace naturellement beaucoup plus de matériau que notre activité. Une simple crue remodèle le lit de l’Areuse beaucoup plus violemment», assure-t-il.

Cet employé du Swatch Group s’est donc lancé dans une croisade contre l’interdiction de sa passion. Après maints courriers, il a enfin reçu une réponse du responsable cantonal de la faune qui accepte de le rencontrer. Il a rédigé pour l’occasion un brouillon de loi d’orpaillage sur licence qui s’inspire des modèles des Grisons notamment. «Il faudrait interdire l’orpaillage pendant la fraie des poissons, faire l’inventaire des outils autorisés, bannir les instruments trop intrusifs comme les barres à mine et obliger à remettre en état les sites qu’on prospecte.»

Des règles que Dominique Grisard s’est toujours fait un point d’honneur à respecter où qu’il exerce son activité. Ecolo, amoureux de la nature et en premier lieu des Gorges de l’Areuse, Dominique Grisard passe la majorité de ses loisirs dans cette région superbe et tourmentée qu’on croyait peuplée de mauvais génies aux siècles passés. «Je cours chaque semaine le long des berges, je pêche pour le plaisir en remettant la plupart du temps les poissons à l’eau et, jusqu’à l’an dernier, j’orpaillais régulièrement à la demi-journée car l’activité éreinte rapidement.»

En près de vingt ans de pratique, Dominique Grisard a sorti plusieurs dizaines de grammes de paillettes d’or du lit de l’Areuse. Non pas pour les fondre et faire fortune comme on pourrait le croire, mais simplement par passion. Il se satisfait de l’émotion presque enfantine de mettre la main sur ces grains étincelants. Avec toute la minutie d’un horloger, il classe ses paillettes par grandeur, les range dans de petites fioles, les conserve dans un petit coffre de bois ou en fait des pendentifs pour ses proches. C’est un pur hasard qui l’a fait contracter la fièvre du métal jaune. «Je n’étais pas au courant qu’on trouvait de l’or dans l’Areuse jusqu’à ce que je rencontre un vieil orpailleur suisse allemand lors d’une balade.»

En dix minutes d’observation, il est emballé; en une semaine, il est équipé. Il fabrique lui-même certains de ses instruments à l’exemple de son «canal», un conduit qui trie l’or du sable (lire plus bas).

Contrairement aux idées reçues, c’est davantage au bord de la rivière, par basses eaux, que dans son lit que la quête se révèle la plus fructueuse. Il faut une bonne dose d’expérience pour accomplir les gestes justes et mesurés de l’orpailleur, mais aussi pour reconnaître les lieux susceptibles de renfermer de l’or. «Comme l’or est plus lourd que les autres matériaux charriés par le courant, lors des crues il est projeté sur les berges et reste emprisonné dans des pièges comme des fissures, des marmites, des trous ou sous de grosses pierres.»

Le chercheur d’or fouille donc prioritairement les dépôts de gravier grossier. Il prélève à la pelle un échantillon de sable et de gravats qu’il tamise en ajoutant de l’eau. Le crible au treillis d’un centimètre de diamètre retient les plus gros éléments et tamise les plus fins dans le pan, une sorte de wok en plastique. «Avant de rejeter les gros cailloux, je vérifie toujours qu’il n’y a pas une pépite qui traîne» Des pépites, l’orpailleur en a déjà découvertes quelques-unes, mais jamais d’une taille supérieure au centimètre de son tamis.

L’or de l’Areuse se concentre presque exclusivement en paillettes d’environ un millimètre. Dans ses filets, Dominique Grisard ne ramasse pas que des trésors, il déloge aussi de grandes quantités de plombs abandonnés par les pêcheurs, des morceaux de ferrailles ou du mercure aggloméré à l’or. Des déchets polluants qu’il s’empresse de retirer de l’eau et d’emmener à la déchetterie ou, pour le mercure, de distiller et d’amener en droguerie. Il exhume aussi des merveilles inattendues comme des grenats et d’autres pierres rares (marcassite, hématite,..) des fossiles et même… des silex du Paléolithique. Une variété d’éléments qui raconte l’histoire de la rivière et de ses habitants, de la dernière glaciation à l’industrialisation sans conscience du Val de Travers au 19e siècle. «La rivière est un grand livre ouvert dans laquelle je me sens comme un archéologue», déclare le chercheur d’or.

L’interdiction cantonale a mis un terme à cette quête d’histoire à fleur d’eau. L’orpailleur compense en se rendant régulièrement en France dans le Gard où il rejoint quelques autres férus. Mais il espère toujours la levée de la prohibition neuchâteloise sur sa rivière fétiche. «En légiférant au lieu d’interdire sans la moindre connaissance de la question, on pourrait contrôler les éventuels débordements et même utiliser l’orpaillage comme un argument touristique pour la région, comme aux Grisons.»

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L’orpaillage, une activité physique

Dès qu’il a trouvé son «placer», c’est-à-dire le lieu propice à une récolte qu’il espère abondante, l’orpailleur gratte le sol pour en prélever de la matière. Le tamisage des éléments les plus fins préalablement triés dans le pan ou la bâtée (sorte de chapeau chinois inversé) s’effectue en de savants moulinets de la main à la façon d’une centrifugeuse. L’efficacité du geste réside dans la capacité de l’orpailleur à ne pas jeter par-dessus bord les paillettes d’or tout en évacuant le plus possible de matière parasite. Le travail au «canal» est moins astreignant. Le chercheur d’or place dans le courant de la rivière ce conduit qui a l’avantage de trier les éléments sans qu’on intervienne. Les éléments à haute densité comme l’or, le plomb, le fer ou le mercure adhérent aux stries du tapis de caoutchouc, tandis que les matériaux plus légers filent et retournent à la rivière, c’est une question de physique. En fin de journée, l’orpailleur aspire les paillettes concentrées au fond de la bâtée ou du canal avec une pipette.

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Comment l’Areuse est devenue aurifère

L’or de l’Areuse provient des gisements du massif du Mont-Blanc d’où il a été charrié par le glacier du Rhône. Il y a 20’000 ans, lors de la dernière période glaciaire, celle du Würm, le glacier traversait tout le Plateau et ne venait buter que contre les contreforts du Jura. Témoins de ce phénomène, les blocs erratiques qu’on croise régulièrement sur les coteaux et dans l’Areuse. Au cours du réchauffement qui a suivi, le glacier s’est retiré en abandonnant de gigantesques moraines constellées d’or qui s’érodent au passage de l’eau.

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Une version de cet article est parue dans Migros Magazine du 28 juillet.