OK, les femmes occidentales n’ont pas besoin de porter le voile. Mais sont-elles vraiment plus libres que leurs soeurs musulmanes? C’est la sociologue Fatema Mermissi qui pose cette question provocante.
Le rapport entre l’islam et les femmes a été abondamment traité dans les médias occidentaux. Indignation, apitoiement, compassion: toute la palette des bons sentiments a été exhibée.
Le livre de Fatema Mernissi, «Le Harem et l’Occident», tombe à pic pour apporter un peu d’impertinence à ce discours convenu. Là-bas, les femmes portent le voile. Et alors? Ici, ne tentent-elles pas toutes de porter la taille 38?
Entre ces deux contraintes, Fatema Mermissi n’hésite pas. Dans l’avion qui la ramène à Casablanca après un séjour aux Etats-Unis, elle se met à prier: «Merci, Allah, de m’avoir sauvée du harem taille 38.»
Aujourd’hui professeur de sociologie à Rabat, Fatema Mernissi est née il y a une cinquantaine d’années à Fès. Dans un harem. Son précédent livre s’intitulait d’ailleurs «Rêves de femmes, une enfance au harem». Et c’est en présentant cet ouvrage dans divers pays occidentaux qu’elle remarqua à quel point le terme de «harem» évoquait des fantasmes masculins sans commune mesure avec la réalité.
A l’origine, le mot «harem» signifie «l’interdit». Mais pour les Occidentaux, il représente une sorte de lieu orgiaque où les hommes réussissent un miracle impossible en Orient: jouir sans entraves de la multitude de femmes qu’ils ont réduites en esclavage.
Cette fausse image du harem a été élaborée par des artistes européens. Les artistes musulmans, eux, n’occultent pas le fait qu’il s’agit d’un espace de réclusion. Les femmes qui vivent au harem sont conscientes d’être opprimées.
Loin d’être lascivement inoccupées et nues comme sur les toiles de Delacroix, Ingres, Matisse ou Picasso, les femmes des artistes musulmans apparaissent hyperactives et très habillées. Aucune similitude avec cet endroit merveilleux, plein de créatures sexy et disponibles qui alimente les fantasmes des mâles occidentaux.
«Les musulmans semblent éprouver un sentiment de puissance virile à voiler leurs femmes et les Occidentaux à les dévoiler», observe Fatema Mernissi en visitant Le Louvre. Un peu perplexe, elle découvre alors que les Occidentaux réduisent le charme au langage du corps.
L’héroïne de son enfance, la Schéhérazade des «Mille et une nuits», l’avait initiée à un autre type de séduction. Bien avant l’apparition du téléphone rose, elle avait remarqué que le moyen le plus efficace d’exciter un homme était la parole. Mais sa Schéhérazade a elle aussi été totalement dénaturée. En passant à l’Ouest, elle a été décervelée. Son éloquence a disparu au profit de ses danses du ventre.
Comment expliquer un tel décalage? C’est dans un grand magasin new-yorkais que Fatima eut l’illumination qui lui permit de terminer son travail. L’énigme du harem européen s’éclaircit quand elle entendit la vendeuse lui annoncer qu’elle n’avait pas de jupe pour elle. Ses hanches étaient trop larges.
«Les tailles hors norme ne sont disponibles que dans les magasins spécialisés», ajouta la vendeuse.
Alors qu’au Maroc, l’ampleur de ses hanches soulevait des commentaires admiratifs, Fatima se trouvait brusquement ravalée au rang de difformité. «La vérité me frappait de plein fouet: la taille 38 était un carcan aussi répressif que le voile le plus épais. J’avais enfin trouvé l’énigme du harem.»
«En braquant les projecteurs sur la nymphette, en la hissant au rang d’idéal, l’homme occidental a remisé les plus âgées dans l’ombre et l’oubli. Les malins d’hommes occidentaux. Ils chantent la démocratie à leur femme le matin, et le soir, ils soupirent d’admiration devant de très jeunes beautés au sourire aussi éclatant que vide, reprenant sous une nouvelle variante l’éternelle ritournelle chantée par Kant: belle et stupide ou intelligente et laide!»
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Fatema Mernissi, «Le Harem et l’Occident» (Albin Michel)