TECHNOPHILE

Le sens de la vie, selon Linus Torvalds

J’ai lu l’autobiographie de l’informaticien le plus convoité de la planète. Il y explique comment il a pu devenir Dieu. A une petite échelle.

Première phrase du premier chapitre: «Enfant, j’étais laid.»

Et pourtant, ajoute-t-il, si sa vie était adaptée au cinéma, son rôle pourrait être tenu par Tom Cruise…

En toute logique, Hollywood finira bien par s’intéresser à l’histoire de Linus Torvalds. A 31 ans, il est déjà un personnage de légende. Son système d’exploitation, Linux, équipe des millions de machines. Même IBM l’utilise aujourd’hui comme argument d’une campagne publicitaire mondiale.

L’autobiographie qu’il a rédigée en compagnie du journaliste David Diamond vient de sortir en français. Bien que béotienne en informatique, je n’ai pas été rebutée par sa lecture, au contraire. C’est que le personnage est non seulement intéressant, mais attachant.

Dans l’introduction, il détaille son projet d’autobiographie au journaliste: «Dans le premier chapitre, nous pourrons expliquer aux gens le sens de la vie. Une bonne méthode pour les appâter. Une fois qu’ils sont bien accrochés, on remplit la suite avec toutes sortes de fadaises glanées çà et là.»

Le sens de la vie? Quand Linus se mue en philosophe cela donne: «Il y a trois choses qui ont un sens dans la vie. Ce sont les raisons de toute ton existence: la première raison, c’est la survie, la deuxième, l’ordre social et la troisième, le divertissement.»

L’histoire ne retiendra pas forcément ce paradigme linuxien. Passons donc aux «fadaises» qui suivent.

«Tout le monde a sans doute rencontré quelqu’un comme moi au cours de sa scolarité, écrit-il. Le garçon connu pour être le meilleur en mathématiques, non parce qu’il a beaucoup travaillé, mais parce qu’il est doué. Je tenais ce rôle en classe.»

On ne sera pas surpris d’apprendre que ses souvenirs les plus anciens et les plus heureux se rapportent aux moments où il jouait avec la vieille calculatrice électronique de son grand-père.

Il devait avoir onze ans lors de sa première rencontre avec un ordinateur, un Commodore VIC-20. Sa passion était née. Les longues nuits finlandaises ont contribué à l’entretenir: «Il y avait un sport d’intérieur qui me permettait de traverser l’hiver: la programmation.»

«En ayant une machine à la maison, il devenait possible de rester éveillé toute la nuit. Tous les garçons restent éveillés pour «lire» Playboy sous les couvertures. Moi, je faisais semblant de m’endormir, j’attendais que ma mère s’en aille, je me relevais et m’installais devant l’ordinateur.»

Un rien nostalgique, il constate qu’à l’époque, les ordinateurs étaient mieux adaptés aux gamins, parce que moins sophistiqués. «Les adolescents abrutis dans mon genre pouvaient fouiner dedans. De nos jours, les ordinateurs souffrent du même problème que les voitures: plus ils deviennent complexes, plus ils sont difficiles à démonter et à remonter, ce qui empêche de pouvoir vraiment comprendre ce qu’ils ont dans le ventre.»

Sa bible? «Toute personne a lu un livre qui a changé sa vie: la Sainte Bible, «Le Capital», «La Nuit des temps»…(J’espère sincèrement qu’après avoir lu la préface et ma théorie sur le sens de la vie, vous considérerez que le présent livre joue ce rôle pour vous). Le livre qui me propulsa à des niveaux qui m’étaient inconnus jusqu’alors a été «Operating Systems: Design and Implementation» par Andrew S. Tanenbaum.

La mère de Linus donne la description suivante de son fils: «Vous voyez soudain devant vous quelqu’un dont les yeux deviennent flous et le regard absent lorsqu’un problème surgit, ou continue à le tarabuster au point qu’il ne vous entend plus parler, quelqu’un qui ne répond pas à la plus simple question, qui plonge totalement dans l’activité en cours, qui est prêt à oublier les repas et le sommeil pour continuer à chercher la solution à son problème et qui n’abandonne jamais. Jamais.»

Linus reprend la parole: «Je ne sais pas vraiment comment expliquer ma fascination pour la programmation, mais je vais essayer. Au sein des limites de l’ordinateur, vous êtes le Créateur. Vous avez une mission ultime de contrôler tout ce qui se passe. Si vous êtes suffisamment bon, vous pouvez devenir Dieu. A une petite échelle.»

Dieu, il le devint très jeune. Alors âgé de 21 ans, il lançait un matin d’août 1991 un message électronique désormais légendaire: «Hello à tous. Je travaille pour l’instant sur un système d’exploitation gratuit (ce sera un hobby et non une occupation professionnelle). J’aimerais que vous me donniez vos impressions positives ou négatives sur ce travail.»

La suite des événements fera date dans l’histoire. Linux était né, et avec lui une nouvelle manière de concevoir les logiciels qui allait bouleverser l’univers informatique.

Pour découvrir pourquoi Linus décida de rendre le fruit de son travail librement accessible sur internet, en invitant toute personne intéressée à l’améliorer, lisez le bouquin. Mais sachez qu’il vous sera alors très difficile de ne pas céder à la tentation de rejoindre les linuxiens…

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«Il était une fois Linux. L’extraordinaire histoire d’une révolution accidentelle.» Par Linus Torvalds et David Diamond. Editions Osman Eyrolles Multimedia.