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Faible avec les forts et vice-versa

Interdire les mendiants, c’est facile. Bien plus, visiblement, qu’accueillir une poignée de djihadistes sur le retour.

Il y a des problèmes plus commodes à résoudre que d’autres. Prenez les mendiants lausannois. Assis ou couchés sur leur trottoir, ils ne faisaient peut-être pas très joli-joli dans le paisible et propret décor. Cette ténacité aussi à réclamer en silence une sorte de dû, à renvoyer comme dans un miroir hirsute et fatigué, chaque passant à son bien-être criard et à son égoïsme tout aussi avéré, cela finissait par devenir franchement pénible. N’est-ce pas?

Mais enfin, il était quand même difficile d’imaginer personnages plus paisibles et inoffensifs. Tellement inoffensifs que s’en débarrasser s’est révélé un jeu d’enfant. Une initiative parlementaire de l’UDC au Grand Conseil vaudois et hop, cachez ces sébiles qu’on ne saurait voir.

Contenir la révolte qui s’en est suivie n’a pas été non plus bien compliqué. La Cour constitutionnelle vaudoise puis le Tribunal fédéral ont balayé un recours contre cette interdiction de mendier, forçant la ville de Lausanne à s’y soumettre.

Avec deux arguments simples, et même simplistes: une telle interdiction contribuerait préserver l’ordre et la tranquillité publique. Ensuite elle protègerait les mendiants eux-mêmes des réseaux mafieux sous le joug desquels ils seraient tombés. Ce qui n’a jamais été démontré, malgré des rumeurs persistantes au café du Commerce.

On voit que la mendicité a réussi à se rendre indésirable à droite comme à gauche. A droite, en raison d’une obsession de l’ordre public poussée jusqu’à la caricature. A gauche, par ce péché mignon consistant à vouloir à tout prix faire le bien des gens, malgré eux, avec en général un seul résultat concret, toujours le même: leur pourrir la vie, aux gens.

Bref, la Suisse paraît totalement armée pour éradiquer la mendicité. Quitte, comme le souligne l’avocat du collectif de mendiants qui vient de déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, «à tirer au canon sur des moineaux».

De canon, en revanche, il n’est plus question lorsqu’il s’agit d’aborder la problématique des djihadistes suisses en mal de retour au pays. Moins nombreux que les mendiants, certes – le chiffre de 93, parmi lesquels certains sont déjà morts, est articulé par le Service de renseignement de la Confédération – mais faisant évidemment beaucoup plus peur.

Alors on se prend la tête entre les mains, on tergiverse, on balbutie de belles notions bien creuses, comme «état de droit», on prend de multiples gants, on crée des groupes d’experts.

Outre en effet une procédure judiciaire, quand même, qui attend le djihadiste à son retour dans la mère patrie tant honnie, c’est tout un processus bien sympathique qui a été imaginé. «Les autorités visent au désengagement immédiat de la personne, qui consiste à s’assurer que l’individu abandonne l’idée de commettre un acte violent sur le territoire suisse, explique André Duvillard, le délégué du Réseau national de sécurité, dans le quotidien Le Temps. Une fois ce risque minimisé, une deuxième phase dite de «réintégration» cherche à rendre possible un retour à la vie dans un environnement helvétique.»

Tout cela devrait mobiliser diverses compétences, aussi bien sécuritaires que socio-éducatives. Les deux problématiques et les deux réalités n’ont évidemment rien à voir l’une avec l’autre. N’empêche, les sorts respectifs réservés aux mendiants et aux djihadistes dégagent comme un vieux parfum de principe increvable: faible avec les forts et fort avec faibles.