Avant d’être un quartier lausannois à la mode, le Flon était une rivière, malmenée par les activités humaines. Parcours de ses vestiges.
Premier jour du printemps. Une fine pellicule de neige recouvre le sol. Il gèle sur les hauteurs de Lausanne, plantées de puissants sapins. Je fais face à un drainage d’où sort un filet d’eau. Une origine bien famélique pour le Flon. À moins que sa source ne se situe quelques centaines de mètres plus haut, dans ces bois du Jorat, entre le golf d’Epalinges et l’Auberge du Chalet-des-Enfants. La carte au 25’000e indique une série de traits bleus qui pourraient faire de bons candidats.
À Lausanne, peu pensent à une rivière quand on évoque le Flon. Et pour cause: elle est largement dérobée au regard, alors qu’elle traversait toute la ville jusqu’au XIXe siècle. À force d’exploitation, de domestication, d’enterrement, et enfin, depuis 1996, de détournement pour alimenter la Vuachère, un autre cours d’eau en mal de débit, il ne reste plus grand-chose de la rivière autour de laquelle la ville s’est bâtie. «Le Flon était utile aux moulins hydrauliques et aux tanneries situées sur ses rives. Les eaux usées y étaient également rejetées. Au début du XXe siècle, on l’a enterré pour éviter les épidémies», explique Dominique Zurcher, du Service de l’eau de la ville de Lausanne. La vallée a par la suite été comblée en large partie afin de faciliter son développement industriel. Les arches des ponts qui l’enjambent comme le pont Chauderon en ont été rétrécies environ de moitié.
L’histoire mieux connue est celle du quartier du Flon, qui s’étend dans l’ancienne vallée. Longtemps, il s’est apparenté à un rassemblement d’usines et d’entrepôts. Dans les années 1980-1990, après la désindustrialisation, il fut la friche de tous les possibles, où magasins de meubles vintage, boutiques gothiques, ateliers d’artistes, fêtes clandestines et prostitution créaient un patchwork alternatif à cinq minutes à pieds du centre historique. Cette situation centrale rêvée lui a valu d’être réaménagé en un nouveau quartier commercial et de loisirs dont les bâtiments contemporains côtoient l’architecture industrielle des anciens entrepôts. Le quartier est en mains privées depuis le XIXe siècle. Propriété du L.O., crée par la famille Mercier (tanneurs huguenots) qui a activement participé à l’essor industriel de Lausanne, le Quartier du Flon appartient aujourd’hui au Groupe Mobimo.
Durant ma promenade, je cherche à retrouver des traces de cette histoire au long du cours d’eau. Sur la partie sommitale, il faut accepter de s’accrocher aux ronces, car les rives ne sont pas aménagées. Des sentiers ne risquent pas d’apparaître prochainement en ces lieux. «Nous sommes dans la logique inverse de rendre leur aspect naturel à ces zones et d’éviter des conflits avec la faune», explique Dominique Zurcher.
Pourtant quelques centaines de mètres en aval, après qu’il s’est flanqué de plusieurs rues du même acabit, le Flon gagne une éphémère fonction d’agrément. Jusqu’au terminus de la ligne de métro M2, aux Croisettes, sur un kilomètre environ, un délicieux sentier ponctué de bancs, d’aires de pique-nique, de ponts, de cascades, épouse la rivière qui descend en mini-cascades. Passé ce moment de communion, difficile d’agripper à nouveau le courant. On retrouve la route, on traverse les bordures indéfinies de la ville, où grands immeubles des années 1970 côtoient petites villas et chalets coquets: Croisettes, Tuileries, Grand-Vennes.
Je tente de retrouver le cours du Flon quelques arrêts de métro plus bas, à La Sallaz. Au Restaurant du Boissonnet, où des brigades d’ouvriers du bâtiment mangent de la langue de bœuf, j’aperçois la rivière qui s’enfonce dans un ravin escarpé. On a planté des choux sur les coteaux. Je demande s’il y a moyen de rejoindre la rive. On me balade d’une table d’habitués à l’autre. Nul ne sait. Je passe sur l’autre versant, côté Sauvabelin. Le Flon m’échappe, il s’enfonce trop profondément dans le ravin. En face, on aperçoit la cheminée de 80 mètres de l’usine Tridel de traitement des déchets. Elle marque l’entame d’un secteur industriel et la disparition du Flon dans un tunnel. Il faut ensuite imaginer. La cuvette que formait la rivière ensevelie suit la rue Centrale, le quartier du Flon, la Vallée de la Jeunesse, jusqu’aux Pyramides de Vidy, où, encore de nos jours, lorsque le débit est important, une partie des eaux du Flon ressurgit pour se jeter dans le lac Léman.
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À faire le long du Flon
Le chemin des fontaines du Jorat
L’une des sources du Flon se situe à la Fontaine des Gollies, l’une des 12 fontaines qui forment le chemin des fontaines des bois du Jorat. Cette délicieuse boucle pédestre, dans la fraicheur des sous-bois, fait 15 kilomètres au total, mais se divise aussi en plus courts segments. On peut se restaurer sur la route à l’Auberge de l’Abbaye de Montheron et à celle du Chalet-des-Enfants, deux lieux où l’on trouve justement des fontaines. Chacune des sources, qu’on a captées pour ravitailler les bucherons et leurs chevaux, bénéficie d’un panneau explicatif assorti de traits d’humour.
L’auberge du Chalet-des-Enfants
Base de départ d’excursion, ou point d’arrivée ou de halte prolongée, tant la terrasse est agréable, l’Auberge du Chalet-des-Enfants est une institution lausannoise. Coco Chanel aimait y consommer un verre de lait et une part de flan lors de ses promenades dans le Jorat dans les années 1950. L’établissement est aujourd’hui un relais culinaire très recommandable. Au menu: gastronomie de saison, plats du terroir, comme le boutefas, la fondue à la bière blanche du Jorat ou à l’ail des ours, ou, lors de notre passage, une salade de dent-de-lion.
Le quartier du Flon
Depuis qu’il est devenu le cœur de la ville, le quartier branché du Flon ne cesse de se réinventer. Il réunit dans des bâtiments historiques ou contemporains des enseignes comme le magasin de baskets Pomp it up, tenu par Toto Morand (une des âmes du Flon), des marques de vêtements internationales, des fitness, des cafés, un cinéma, des restaurants pour tous les goûts, des lieux de fête. Il accueille aussi dans les anciens Garages, le long de la rue des Côtes-de-Montbenon, des ateliers d’artistes et designers, des galeries d’art et des boutiques. On y trouve aussi bien du vin en cartons que des espaces d’exposition contemporains. Enfin, on attend entre autres pour 2019 l‘ouverture d’un hôtel Moxy de 115 chambres, dans l’esprit du temps et avant cela, l’espace de coworking Gotham.
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Une version de cet article est parue dans le magazine The Lausanner (no 1).