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L’urologue futurologue

Médecin de formation, entrepreneur à succès et écrivain, le Français Laurent Alexandre fait partie des meilleurs connaisseurs des défis liés aux nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle.

En France, il est le personnage incontournable dès que le sujet de l’intelligence artificielle (IA) est abordé. Selon Laurent Alexandre, l’IA révolutionnera tous les domaines du quotidien: le travail, la santé et l’éducation. Face à ce bouleversement, les Européens ne sont pas assez préparés. D’après lui, ils seraient «les idiots utiles de l’intelligence artificielle». C’est le message qu’il essaie de faire passer depuis quelques années au travers de ses livres, de ses chroniques dans la presse et via ses multiples interventions en tant que conférencier, notamment au TEDx ou devant le Sénat français. Et il est entendu: les retransmissions de ses interventions enregistrent des millions de vues sur internet. Pour autant se sent-il aussi compris? Urologue de formation et créateur de Doctissimo, l’un des sites web les plus consultés de France (voir encadré), ses prises de position font de ce futurologue bientôt sexagénaire un penseur aussi respecté que controversé. Rencontre.

Comment est née votre fascination pour l’intelligence artificielle?

Enfant, j’ai été marqué par le film «2001, l’Odyssée de l’espace» de Stanley Kubrick. De manière générale, j’ai développé relativement tôt un fort intérêt pour les sciences et pour les technologies du futur. Ma passion pour l’IA s’est construite au rythme des progrès et des échecs de cette technologie. Selon moi, c’est seulement au cours des années 2012 et 2013 que le monde est réellement entré dans l’ère de l’IA. Le passage à cette nouvelle ère se définit par la réalisation du programme Google Brain, capable de «découvrir» par lui-même le concept de chat à partir de plusieurs millions d’images.

Selon vous, quelles seront les conséquences de l’IA?
Il faut distinguer d’abord l’IA faible et sa variante forte. La première effectue ce qu’on lui a appris. Elle est puissante, mais reste sous contrôle humain. La deuxième aura conscience d’elle-même et pourrait développer ses propres projets, échappant ainsi à ses créateurs. Attention: les gens qui attendent pour demain cette deuxième catégorie vont être déçus. Je pense que nous ferons face à de telles intelligences seulement dans plusieurs décennies. Les bases d’une révolution sont déjà posées avec les recherches actuelles sur l’IA. Je pense par exemple à la médecine, où l’analyse d’immenses quantités de données livrera des diagnostics beaucoup plus précis qu’aujourd’hui. Le métier du médecin va se transformer de manière profonde.

Comment l’Europe se positionne-t-elle dans cette évolution?
Malheureusement, les grands progrès se font ailleurs: aux Etats-Unis via les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et en Chine via les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Jusqu’en 2030, il est extrêmement peu probable que quelqu’un puisse faire de l’IA sans avoir recours à des montagnes de données. Or, il n’y a pas de base de données européennes permettant de former une IA qui peut concurrencer celles des GAFA et des BATX.

Vous êtes donc plutôt pessimiste…

Oui. Regardez comme il est difficile de concurrencer Google et Facebook aujourd’hui. La barrière à l’entrée se trouve à des centaines des milliards d’euros qu’il faudrait investir pour créer des services comparables. Par exemple, la force financière et l’avance technologique d’un acteur comme Amazon est tellement grande que le groupe français Carrefour, pourtant un des leaders mondiaux du domaine de la grande distribution, a du mal à le concurrencer. C’est d’ailleurs pour cette raison que Carrefour s’est allié à Google.

Il y a pourtant des politiciens européens comme Cédric Villani, député français, qui proposent des mesures pour promouvoir l’innovation dans le domaine de l’IA.

De telles initiatives vont dans la bonne direction. Mais il reste deux problèmes: elles ne vont pas assez loin vu l’enjeu et il y en a trop peu. A mon sens, il faut surtout trouver des moyens pour empêcher nos meilleurs spécialistes de partir à l’étranger. Je pense par exemple au Français Yann LeCun qui est considéré comme un des inventeurs du principe du «deep learning» et qui travaille chez Facebook.

Dans votre dernier livre «La Guerre des Intelligences» vous préconisez une refonte de notre système éducatif afin de mieux préparer nos enfants à la cohabitation avec l’IA. A quoi ressemblera votre école du futur?

Je suis de l’avis que l’intelligence est l’inégalité que la société corrige le moins bien aujourd’hui. Si nous ne changeons rien, je crains qu’il y ait deux groupes de personnes à l’avenir: celles, très intelligentes qui arriveront à travailler avec l’IA, et celles qui le sont un peu moins et qui seront marginalisées sur le marché de travail. C’est un sujet sensible où je subis beaucoup de critiques. Je pense que l’école devrait davantage se servir des technologies, des neurosciences et même d’analyses ADN pour individualiser l’enseignement afin que chaque élève puisse développer son potentiel. Il faut plus de spécialistes de ces domaines dans les écoles.

Êtes-vous favorable aux modifications génétiques afin d’améliorer les capacités cérébrales pour pouvoir faire face au pouvoir de l’IA?

Il y a effectivement deux scénarios pour augmenter les capacités cérébrales: soit par sélection et manipulation génétique des embryons, soit par une action électronique directe sur notre cerveau. C’est sur cette dernière que travaille Elon Musk avec sa société Neuralink. Mais ces deux scénarios ne m’enchantent aucunement, même si je pense qu’ils vont devenir réalité. Il faut donc se poser les bonnes questions, en particulier au niveau éthique. Par exemple, aurait-on à l’avenir le droit de ne pas augmenter les capacités cognitives des gens moins intelligents? Si je dois choisir, je suis plutôt bioprogressiste que posthumaniste: Je préfère les cellules souches cardiaques aux cœurs artificiels, la sélection embryonnaire à des implants cérébraux.

Quel impact de l’IA sera selon vous le plus bénéfique pour la société?

Je pense que nous pourrons nous réjouir des avancées dans le domaine de la santé. Aujourd’hui, choisir un bon médecin est souvent une question de connaissances et de réseau. Il peut y avoir des vrais déséquilibres. L’IA peut créer un standard commun de haut niveau pour tout le monde. J’espère que je ne me trompe pas sur ce point-là.

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Les mille vies du futurologue

D’abord chirurgien spécialisé en urologie, Laurent Alexandre empile également des diplômes – en partie en parallèle de sa carrière de médecin – dans les domaines des sciences politiques, du commerce et de l’administration. Le tout dans les établissements les plus prestigieux de France. En 1999, il fonde le site web Doctissimo, une plateforme où les internautes peuvent s’informer et échanger sur leurs soucis de santé. Il devient l’un des sites les plus visités de France au point où Laurent Alexandre peut le vendre en 2008 à un grand éditeur national pour 139 millions d’euros.

Depuis, Laurent Alexandre se concentre sur ses activités d’écrivain, de conférencier et d’investisseur. Ainsi, il a investi dans une quinzaine d’entreprises en Europe et aux Etats-Unis actives dans les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique ou les sciences cognitives, comme DNAVision, une société belge spécialisée dans le séquençage ADN. Par ailleurs, il affirme ne jamais demander un business plan: «Je soutiens des personnes, pas des tableaux excel. Elles doivent connaître l’histoire, la philosophie et avoir une vision de notre monde qui va au-delà de leur propre mort.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine en ligne Technologist, qui traite l’actualité de la recherche et de l’innovation en Europe.