cialis female experience

Les footballeurs ne sont pas des aigles

Les réactions contrastées à la polémique vaine et déjà oubliée de Kaliningrad pourraient servir à envisager notre modèle pluriculturel avec davantage de lucidité.

Shaqiri par çi, Xhaka par là. Le football, et tout particulièrement sa grand-messe suprême, est tellement impactant qu’il a même réussi à tirer un instant de sa torpeur pré-estivale le landerneau politique suisse.

Que les footballeurs ne soient pas des aigles, cela a été, à quelques exceptions près, assez clairement démontré. La fameuse célébration dite de l’aigle noir albanais aurait donc dû être traitée pour ce qu’elle était: un non-événement. Comme tout ce que fait un footballeur en dehors de son strict métier pour lequel il est payé, souvent assez bien, et pour lequel on l’admire, souvent très fort.

C’est l’aspect sportif seul qui aurait dû être scruté, décortiqué, commenté. A savoir le risque de sanction émanant de la FIFA. Le principe d’interdiction de gestes à connotation politique sur un terrain de sport semble a priori plutôt une bonne chose. Sinon on en viendrait à devoir trier entre les bons gestes et les moins bons. Le problème c’est que dans une compétition mondiale il n’y aura jamais un geste qui ne choquera personne. C’est le principe même des symboles et des gestes politiques: rassembler son camp d’un côté, désigner l’ennemi de l’autre.

On aurait pu à l’inverse faire remarquer aux pontifiants seigneurs de la FIFA qu’entre une célébration idiote, narcissique, comme le sont la plupart, et des gestes plus élaborés, voire même porteurs de sens, on pourrait préférer ceux-ci. Des footballeurs avec des convictions et des sentiments, cela devrait faire plutôt envie que déclencher la foudre des règlements.

Au lieu de cela, le débat s’est focalisé dans nos chaumières sur la question du degré de suissitude des Xherdan, Granit et consorts. Question évidemment sans objet, tellement irrationnelle, cousue d’affects, d’approximations et d’à-priori, que même le diable ne saurait la trancher.

Le conseiller national UDC Jean-Luc Addor, connu surtout pour ses envies de peine de mort, a eu raison de souligner que le cadre de l’équipe suisse n’était sans doute pas le bon pour mettre en scène un conflit qui ne la concerne en aucune manière. Mais cet autre UDC, Kevin Grangier, n’eut pas non plus tout à fait tort de dire que l’engagement des kosovars de la Nati sur ce match surpassa de très loin en patriotisme un petit rappel des origines albanaises.

Slobodan Despot, l’écrivain suisse d’origine serbe, ne battait pas non plus la campagne quand il expliqua avoir perçu la célébration de Shaqiri et Xhaka comme empreinte d’un «nationalisme agressif». Guy Mettan enfin, le plus russophile des Valaisans de Genève, et par voie de bande aussi le plus pro-serbe, pouvait également estimer à juste titre que «le modèle pluriculturel suisse» avait été mis en péril à Kaliningrad avec «des milliers de Suisses d’origine serbe» qui se sont sentis «offensés».

Sauf que la socialiste Ada Marra eut aussi cent fois raison de marteler que «ce qui nous rattache au pays de provenance, c’est la famille, les affects, l’histoire tragique dans ce cas». Qu’il ne fallait pas oublier que «l’intégration est une reconnaissance mutuelle». Que «dire que Shaqiri et Xhaka ne se sentent pas Suisses», c’était quand même «problématique».

On le voit: même l’arbitrage vidéo le plus pointu ne viendrait pas à bout de ces querelles picrocholines, attisées par des visions partielles et biaisées du modèle multiculturel qui prévaut en Europe depuis quelques décennies. Un modèle qui se révèle moins une richesse ou au contraire un désastre, qu’une source de défis inédits à surmonter lucidement.

La Suisse albanaise par exemple possède un grand avantage sur les contre-modèles de ses détracteurs, comme sur les contes de fée de ses thuriféraires: elle existe.