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Les nouvelles grenouilles de bénitier

La gauche a une longue tradition anticléricale. Elle en est aujourd’hui, comme à Genève, à lancer des référendums contre la laïcité.

Longtemps la gauche, et plus encore la gauche de la gauche, a été laïcarde fanatique. Bouffeuse de curés, pourfendeuse de la superstition, ennemie du fanatisme religieux. Il serait difficile de contester aujourd’hui qu’à force, le monde s’en est mieux porté. De cette vigoureuse tradition, de ces combats épiques menés au cri voltairien d’«Écrasons l’Infâme», que reste-t-il? Disons-le: trois fois rien.

Écoutons par exemple le député genevois d’Ensemble à Gauche, Pierre Vanek: «Nous sommes, dit-il, pour une laïcité qui ne discrimine pas les religions.» Comme on dirait: pour une eau qui ne mouille pas, un feu qui ne brûle rien. Écoutons aussi cette conseillère municipale des Verts de Meyrin, elle-même voilée et prêchant donc pour sa petite paroisse, expliquer dans Le Temps que ce qu’il faudrait plutôt, c’est une loi «qui respecte l’expression religieuse».

Ce qui revient, dans l’esprit, à être plutôt Kouachi que Charlie. A vouloir protéger le blasphémé plutôt que le blasphémateur. À redonner à la superstition et à l’irrationnel leur vieille prééminence sur la raison et la critique.

Ce qu’il y a de troublant dans cette affaire, c’est que la gauche semble vouloir désormais s’aligner, s’agissant de laïcité, sur ce qui se fait aujourd’hui de plus bigot, de moins tolérant et de plus obtus en matière de religion.

Écoutons ce que nous dit, dans la Tribune de Genève et sur le même sujet, un Hani Ramadan: «Je le dis clairement: le principe de laïcité n’existe pas en Islam». Avant de détailler soigneusement le fond de sa pensée: «Je suis pour une laïcité inclusive qui permette à tous les croyants de s’exprimer librement.» Pour ceux qui n’auraient pas bien compris: «Je suis contre une laïcité exclusive qui veut proscrire l’expression de sa foi dans le domaine public.»

Voilà qui est limpide. Et qui montre que les quatre -pourquoi pas dix, pourquoi pas cent?- référendums lancés par la gauche de la gauche, les Verts et des organisations satellitaires contre la loi sur la laïcité ne sont que des copier-coller de prêches islamistes.

Rappelons que ce qui était attaqué dans cette loi votée au Grand Conseil après moult débats, c’est la disposition interdisant aux élus et aux fonctionnaires les signes ostentatoires religieux. Autrement dit, pas grand-chose, une sorte de laïcité à minima. Mais c’est encore trop pour nos saints esprits référendaires, mués en punaises de sacristie d’un genre nouveau, et qui trouvent que la loi «définit la laïcité comme une police des consciences».

Ce qui équivaut à rapprocher cette lex Maudet des gardiens de la révolution khoménienne, des sbires du stalinisme, des tortionnaires de la Gestapo ou des juges de l’Inquisition. Si les mots ont un sens.

Ecoutons plutôt, puisque nous sommes à Genève, le citoyen Rousseau, à propos de «la Religion» et de «ce fatras de petites formules dont les hommes l’ont offusquée», invoquer un «principe si censé, si social, si pacifique et qui m’a attiré de si cruelles persécutions». À savoir «que tout ce qui est forme et discipline était dans chaque pays du domaine des lois». C’était en 1754.

Deux siècles et demi plus tard une gauche en pleine régression semble bien vouloir se positionner du côté des persécuteurs.