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Les pleureuses à l’ouvrage

L’élection d’Ignazio Cassis au Conseil fédéral fait grincer pas mal de dents en Suisse romande. Alors que rarement un candidat aura été aussi légitime.

De quoi se plaint-on? L’élection d’Ignazio Cassis était écrite depuis des semaines. La majorité suisse alémanique l’avait adoubé depuis longtemps. Ce ne sont pourtant, à l’heure de l’entrée du Tessinois au Conseil fédéral, que lamentations, grincements de dents et noirs tableaux.

En Suisse romande s’entend. Parce que dans tout le reste du pays, on a bien compris que de par la Constitution, les mœurs politiques et une atavique recherche d’équilibre dans une mosaïque politique et humaine compliquée, rarement un candidat aura été aussi légitime que celui-là.

Mais non. Pleureuses et pleureurs welsches y vont de leurs rengaines compassées. A droite parce que les candidats suisses romands n’ont pas fait illusion longtemps, à gauche parce ce Cassis-là serait décidément trop à droite.

Les inquiétudes de la droite romande s’apparentent quand même à des soucis d’apothicaires. Le fait, nous dit-on, que les deux sièges romands restants soient occupés par un UDC et un socialiste, qu’il n’y ait plus de radical francophone au Conseil fédéral, entraînerait le risque, par exemple lors du départ encore lointain de Parmelin, que l’un des deux fauteuils retourne chez les Alémaniques.

Certes la relève UDC romande apparaît comme tout sauf une évidence. Mais petits calculs pour petits calculs, on pourra rétorquer qu’avec 1 Tessinois et 1 Suisse romand la Suisse latine serait encore représentée selon son juste poids. Et que si Parmelin un jour est remplacé par un Suisse alémanique, un rééquilibrage serait sans doute effectué lors de l’élection suivante, comme cela arrive presque systématiquement.

Quant à affirmer qu’un Maudet avait davantage le costume d’homme d’état qu’un Cassis, cela peut se discuter jusqu’au bout de la nuit au fond d’un grotto. On voit bien que l’on patauge là entre broutilles et arguties.

A gauche, déjà surnommé Kranken-Cassis pour ses liens trop resserrés avec les assureurs, le Tessinois a aggravé son cas en citant, sitôt élu, l’inusable icône Rosa Luxemburg: «La liberté, c’est toujours la liberté de penser autrement.» De quoi faire grimper aux rideaux une Cesla Amarelle en twitteuse chatouilleuse: «Il ne suffira pas de citer Rosa Luxemburg pour cacher l’udceisation toujours plus grande de la Suisse.»

L’hypothèse d’une droitisation du Conseil fédéral par la seule présence d’un Cassis qui s’affirme certes libéral sur le plan économique mais aussi sociétal, est si peu évidente que même le patron PS Christian Levrat peine à y croire: «Dans les six mois, l’UDC se plaindra que le Conseil fédéral est trop à gauche. Au final, les trois candidats étaient politiquement les mêmes à quelques détails près.»

Et puis parmi les déçus il y a bien sûr les partisans du vote femme, majoritairement des partisanes il faut bien le reconnaître, offusqués que l’on n’ait pas saisi cette occasion de rééquilibrer les genres au Conseil fédéral, la surreprésentation masculine restant avec Cassis ce qu’elle est: 5-2.

D’où une certaine colère, comme celle de la verte Adèle Thorens: «La campagne négative dont Isabelle Moret a fait l’objet est inacceptable.» Et de proposer dans la foulée de «remettre en question la représentation du pouvoir. Car que constate-t-on? C’est encore l’image masculine qui incarne le pouvoir, soit le mâle alpha, avec sa voix forte et dominante.»

S’agissant de la campagne négative, il faut quand même se rappeler que c’est un peu le lot de tous les candidats au Conseil fédéral, dont les faits, gestes, boulettes et déclarations intempestives sont scrutées, ainsi que la vie privée. Le score rachitique d’Isabelle Moret -28 voix au deuxième tour- doit sans doute plus à de piètres prestations lors des auditions devant les instances radicales et parlementaires qu’à son sexe.

On ne sait pas ce qu’en aurait pensé Rosa Luxemburg, mais on sait ce qu’en a dit le nouveau conseiller fédéral Cassis: «Que chaque parlementaire comprenne que les petits jeux précédant une élection sont terminés.»