TECHNOPHILE

L’Europe accélère

Pour se développer à leur pleine mesure, les innovateurs européens n’ont souvent pas d’autre choix que de se vendre à des géants américains. La situation change.

Il n’y a pas si longtemps, le rachat par Apple ou Google d’une start-up européenne suscitait un sentiment de fierté sur le Vieux Continent: cela démontrait la qualité du système éducatif, le talent des entrepreneurs, la pertinence des recherches… L’acquisition par un géant californien était considérée comme une sorte de couronnement. Le signe que l’Europe avait encore de belles ressources en matière d’innovation.

Au cours de ces cinq dernières années, ce sont plus d’une cinquantaine de start-up européennes qui ont été avalées par Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft. Leurs créateurs ont été généreusement rémunérés dans ces opérations, avec, en prime, le prestige d’être choisis par des leaders mondiaux. Ces succès ont encouragé d’autres chercheurs à se lancer dans la course. Le cercle vertueux de l’innovation tournait à plein régime et personne ou presque ne songeait à s’en plaindre.

Ces acquisitions n’ont pas cessé. Elles ont toujours les mêmes retombées positives sur l’innovation à l’échelle globale, mais elles suscitent aujourd’hui plus d’inquiétude que de fierté. De plus en plus de citoyens se rendent compte qu’à chaque rachat, l’Europe perd un peu de sa compétitivité. Les emplois induits lui échappent, de même que la propriété intellectuelle des innovations financées par ses contribuables. A chaque coup, ce sont les Etats-Unis qui renforcent leur domination déjà massive sur les nouveaux marchés numériques.

Qu’est-ce qui a changé? Pourquoi, après avoir été accueillies plutôt positivement, ces acquisitions sont-elles aujourd’hui aussi redoutées? C’est bien sûr l’arrivée au pouvoir de Donald Trump qui accentue l’inquiétude. Le nouveau président ne se gêne pas pour secouer l’entente cordiale qui régnait, dans le domaine de la recherche notamment, entre l’Europe et les Etats-Unis. Son agressivité commerciale et son slogan «America first» créent un climat de nervosité, y compris au chapitre des alliances militaires.

Face à un tel comportement, l’Europe pourrait être tentée de prendre des mesures pour protéger ses innovations et empêcher ses start-up d’être rachetées par les géants californiens. Elle pourrait, par exemple, envisager de conditionner ses aides financières à la promesse de rester à long terme sur sol européen. Ce serait une erreur. Parce que les entrepreneurs ont besoin d’accélérateurs et non de freins.

Les innovateurs européens doivent déjà franchir un nombre hallucinant d’obstacles avant d’être en mesure d’exporter sur leur propre continent. Pour étendre leur marché, ils sont souvent obligés de s’adapter aux règlements législatifs et à la fiscalité de chaque pays membre — sans oublier les 24 langues officielles de l’Union (le maltais en fait partie).

Ce n’est pas en ajoutant de nouvelles contraintes que l’Europe favorisera la naissance sur son sol de leaders mondiaux. C’est au contraire en abaissant ses barrières administratives, en connectant des écosystèmes favorables à l’innovation et en stimulant les investissements par le biais d’incitations fiscales.

Les géants européens des télécoms et de l’électronique ont aussi un rôle à jouer. Que faisaient-ils ces dernières années quand leurs concurrents américains rachetaient des start-up locales? Pourquoi ne les ont-ils pas repérées les premiers? Depuis 2011, ces grands groupes, qui parlent volontiers de disruption et de quatrième révolution industrielle, ont eu plus de 50 occasions d’acquérir un capital intellectuel ou un business model révolutionnaire qui était né sous leurs yeux. A chaque fois, ils ont laissé passer leur chance et ce sont les géants d’outre-Atlantique qui ont emporté le morceau.

La situation est en train de changer. L’Europe se rend compte qu’elle doit réagir vite si elle veut maintenir son rang dans le nouveau contexte numérique. La bonne nouvelle, c’est qu’elle ne manque pas d’innovateurs, mais d’accélérateurs de l’innovation. Et ceci est beaucoup plus facile à mettre en place.
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Une version de cet éditorial est parue dans le magazine Technologist (no 12).

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