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Les rois de la contradiction

Les résultats des dernières votations dessinent le portrait d’un électorat suisse bancal et diffus. Et si c’était vrai?

Donc, un peuple qui adore ses routes et en réclame davantage. Qui cajole ses étrangers, du moins s’ils sont de la troisième génération, c’est-à-dire plus étrangers du tout. Mais qui n’aime pas trop, voire pas du tout, ses entreprises, surtout si elles ont l’outrecuidance de ressembler à des multinationales.

C’est un étrange portrait en creux de la suissitude qu’ont dessiné les dernières votations. Pour résumer, celui d’un pays peuplé majoritairement de gens de gauche, mais de gens de gauche très pro bagnole et modérément xénophiles. On pourrait encore embrouiller cette mauvaise esquisse en s’appuyant sur une actualité plutôt contradictoire.

Ainsi, une décision du Conseil fédéral, prise en novembre dernier et passée totalement sous les radars, oblige à conclure que les Suisses sont des gens qui aiment vivre dangereusement. Ou du moins sont gouvernés par d’inconscients casse-cou: l’article de loi qui rendait obligatoire les sonnettes de vélo a en effet été abrogé. En catimini, comme sournoisement.

Nous semblons également bien être les partisans d’une forme d’écologie très particulière, qui a pour principale conséquence de raréfier l’air pur. C’est en tout cas la malveillante conclusion qu’on pourrait tirer d’une étude menée par le Centre romand de la qualité de l’air et du radon et l’Office fédéral de la santé publique. Où il apparaît que nos maisons, dorénavant si bien isolées, ne laissent plus suffisamment circuler l’air, du moins pas si bien que pouvaient le faire nos vieilles fenêtres quand elles n’étaient pas encore à double vitrage. La surprise est de taille: ainsi donc l’isolation isolerait.

L’écologie, certes, est une affaire bien compliquée. Peut-être trop pour ce Suisse amoureux, dit-on, des choses simples, carrées, propres et en ordre. D’où le désarroi que soulève tout à coup le mauvais état des sols de nos forêts, qui se révéleraient à l’analyse trop acides, et donc peu favorables au bon développement de nos arbres bien aimés. Au début, cela paraît limpide, puisque les responsables sont identifiés: ce sont les paysans pollueurs, à 66%. On relèvera au passage la précision splendidement et indubitablement autochtone.

Mais c’est là justement que tout se complique. Parce que chez nous, le paysan est au moins aussi sacré que sa vache. Le Conseil fédéral en conclut donc qu’inverser la tendance sera «moyennement facile», onctueuse périphrase administrative pour annoncer un casse tête inextricable.

Pour ne rien arranger, il y a divergence de fond sur les méthodes d’assainissement les plus appropriées, car il en existe plusieurs. Un postulat venu de l’UDC proposait l’épandage de cendres. Impossible, a rétorqué le Conseil fédéral: la cendre est considérée comme un déchet et doit donc être à ce titre éliminée. Et l’élimination des déchets n’est-elle pas une de nos fiertés nationales? Un domaine dans lequel nous brillons tout particulièrement par notre intransigeance et nos capacités de féroces nettoyeurs? On retiendra donc une solution allemande: l’épandage de chaux.

Nous sommes aussi, pourra-t-on découvrir, de sacrés calures en matière juridique. Surtout concernant le fameux code du coupage de cheveux en quatre. Comme l’a montré la banale affaire d’une femme licenciée ayant contesté son renvoi par le fait qu’elle était enceinte et donc protégée contre cette mesure. Argument que l’employeur — une clinique — avait attaqué, arguant que la grossesse ne commence pas au moment de la fécondation mais de l’implantation de l’œuf dans l’utérus, soit une semaine plus tard.

Le TF a donné raison à l’employée, mais tout en apportant une étrange précision: en matière pénale, pour déterminer la période où une interruption de grossesse reste sanctionnable, c’est l’implantation et non la fécondation qui fait office de top départ. Comme disent les philosophes de comptoir, vérité en deçà de l’utérus, mensonge au-delà.