TECHNOPHILE

Insectes superstars

Scarabées, papillons et araignées: chercheurs et ingénieurs s’approprient les secrets des insectes.

Le papillon morpho avec ses ailes d’un bleu spectaculaire fascine les chercheurs du monde entier. Certains ingénieurs en matériaux tentent de répliquer à l’identique les nanostructures à l’origine de cette couleur éclatante, tandis que d’autres s’en inspirent pour fournir de nouvelles teintes à l’industrie automobile. Cet intérêt correspond à un engouement plus général pour les arthropodes dans le biomimétisme. «C’est logique, car les insectes et araignées sont très représentés à l’échelle planétaire, souligne Kalina Raskin du Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis en France. C’est l’embranchement qui compte le plus d’individus du règne animal.» Selon une étude publiée en 2015, il y aurait 6,8 millions d’arthropodes terrestres différents et 5,5 millions de variétés d’insectes.

Parmi cette multitude d’espèces, les ingénieurs en matériaux ont trouvé de formidables propriétés, telles que la force du fil d’araignée. Les toiles tissées par certains arachnides peuvent supporter un poids de 380 tonnes, soit un Boeing 747 plein à craquer. En 2011, Horst Kessler et son équipe de l’Institute for Advanced Study de la Technische Universität München ont découvert le mécanisme moléculaire qui donne au fil de soie sa vigueur. A partir de ces résultats, la spin-off AMSilk produit, depuis 2014, une fibre naturelle à une échelle industrielle. En mettant l’accent sur la durabilité du matériau par rapport à d’autres fibres faites de plastique, la start-up commercialise son produit à des entreprises actives dans le textile, le secteur automobile ou la décoration.

Des scarabées sur internet

Pour le physicien Ullrich Steiner, les insectes sont surtout très pratiques à étudier. «La plupart peuvent être commandés par internet. Ils ne sont sous le coup d’aucune loi stricte de protection des animaux. Enfin, par rapport aux végétaux, ils ne fanent pas et sont plus résistants», indique le professeur au Pôle de recherche national (PRN) pour les matériaux bio-inspirés à l’Université de Fribourg, qui fédère 15 groupes de recherche dans toute la Suisse, dont ceux de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.

Grâce aux spécimens qu’il commande sur internet, Ullrich Steiner souhaite reproduire des surfaces photoniques naturelles comme celle du scarabée Cyphochilus, qui a la particularité d’être blanc. Un phénomène rare dans la nature, puisque cette couleur s’obtient seulement avec une surface réfléchissant la lumière dans toutes les directions. «Ce scarabée est aussi blanc que du papier, mais la couche de sa carapace produisant cette couleur est 100 fois plus fine que celle d’une feuille de papier, explique-t-il. Si l’on crée, avec nos technologies, quelque chose de similaire, nous obtenons pour l’instant un produit transparent.» Pour percer les mystères de cette carapace immaculée, l’équipe de chercheurs travaille avec de la nano-tomographie aux rayons X et de la modélisation par ordinateur. Si elle parvient vraiment à copier la nature, les applications seront nombreuses: la production de feuilles de papier et de peintures beaucoup plus fines ou encore l’utilisation de structures similaires dans des cellules solaires pour améliorer leur absorption de la lumière.

L’intérêt des insectes et autres arthropodes réside dans leur juste distance par rapport à l’être humain, selon Thibaud Coradin, responsable de l’équipe Matériaux et biologie au laboratoire de la Chimie de la matière condensée de Paris. «Si nous étudions en biomimétisme des mammifères, nous n’allons pas découvrir beaucoup d’éléments nouveaux sur nous-mêmes. Et si nous allons chercher des espèces trop lointaines, relier les résultats à nos besoins sera trop difficile. Donc, ces arthropodes — qui ne sont ni trop loin, ni trop proches — constituent un bon compromis.»

Des espèces familières

Autre avantage dans le travail avec les insectes: les connaissances entomologiques de base sont partagées par bon nombre de scientifiques. «La biodiversité des insectes a été identifiée depuis longtemps, car ce sont des organismes que l’on voit, avec lesquels on vit, analyse le chimiste français. Il y a une sorte de familiarité qui fait que nous connaissons bon nombre de leurs propriétés, même sans être des zoologistes. Ainsi, selon nos besoins, nous penserons à telle espèce capable de voler silencieusement, à une autre pouvant changer de couleur, à un tel qui peut vivre dans l’eau très longtemps, etc.»

La couleur bleue du morpho — bien connue des chasseurs de papillons — a ainsi servi de déclic à Anders Kristensen, professeur au Département de micro et nanotechnologie de la Danmarks Tekniske Universitet. Inspirés par les nanostructures créant la teinte éclatante de ses ailes, le physicien et son équipe ont mis au point une technologie innovante. «Nous n’utilisons ni teinture ni pigments, mais des surfaces photoniques, détaille-t-il. Nous avons créé des nanotextures directement moulées dans la surface du composant plastique.» La taille de cette structure est infime: «Il s’agit de cylindres de 100 nanomètres de profondeur et de hauteur, recouverts d’une couche d’aluminium. C’est elle qui crée la couleur avec une technique d’absorption par résonance. Et enfin, nous ajoutons une fine couche de protection.» Au travers du projet IZADI-Nano2Industry, financé notamment par le projet européen pour la recherche Horizon 2020, le Danois travaille à la production de matériaux utilisables pour la décoration de machines automobiles, agricoles ou de construction.

________

Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 10).

Pour souscrire un abonnement à Technologist au prix de CHF 45.- (42 euros) pour 8 numéros, rendez-vous sur discount tadalafil 20mg.