LATITUDES

Des sportifs sous pression

Nombreux sont les sportifs tentés par les vêtements compressifs. Mais les études scientifiques ne confirment pas les bénéfices mis en avant par les fabricants.

Qui aurait imaginé Paula Radcliffe, la marathonienne anglaise au look peu sexy avec ses bas de contention, faire un jour autant d’émules? Selon les vendeurs d’articles de sport interrogés, 30 à 50% des participants à des épreuves comme les «20 km de Lausanne» ou la «Patrouille des Glaciers» porteraient des vêtements comprimant l’une ou l’autre partie de leur corps. Il n’est plus nécessaire de souffrir d’un système veineux déficient, d’être enceinte ou d’avoir subi une opération, pour enfiler — non sans peine — ces tissus élastiques, qui sont passés du beige terne à des couleurs vives. Une métamorphose qui a permis de prendre de la distance avec l’image des jambes de nos grands-mères.

Ces nouveaux articles ont débarqué sur le marché en se targuant de posséder d’innombrables vertus. Exemple, cette description d’un t-shirt dans une pub, dans un jargon pseudo-scientifique: «Ce vêtement est équipé d’une compression graduelle: la compression est plus élevée aux extrémités qu’au centre, ce qui améliore le retour veineux et accélère l’évacuation des lactates. La performance sportive est ainsi optimisée». Toutes marques confondues, on promet une meilleure oxygénation des muscles, une amélioration du retour veineux et de la proprioception (le terme désigne les réflexes qui permettent de garder une position stable), un effet antifatigue, de meilleures performances et une récupération accélérée. Quel sportif, professionnel ou athlète du dimanche se priverait d’alliés aussi précieux? La quasi-totalité des disciplines est touchée: basketball, football, hockey sur glace, athlétisme, course à pied, haltérophilie, pour n’en citer que quelques-unes.

Quid des bénéfices? Ils semblent avérés, en tout cas financièrement. Ce marché devrait atteindre 3,2 milliards de dollars d’ici à la fin de la décennie, grâce à une croissance annuelle de 5%, selon Persistence Market Research. Les équipementiers qui se sont lancés dans ce créneau en proposant des produits très onéreux connaissent, depuis peu, une concurrence féroce avec des discounters «compressant» les prix. L’obstacle du coût ainsi franchi, la démocratisation de la compression est en pleine expansion.

Quant aux avantages physiques, quantité d’études ont tenté de vérifier l’exactitude des multiples promesses publicitaires. Résultat: ces vêtements faciliteraient la récupération. Mais aucune étude ne vient confirmer les bénéfices annoncés côté performance. Une méta-analyse portant sur 37 travaux souligne l’absence de tout gain dans les sports d’endurance. Elle met tout de même en avant quelques avantages pour des athlètes aux «mouvements explosifs», tels les sprinteurs ou les haltérophiles, qui souffrent moins de douleurs musculaires après l’effort. A relever aussi qu’aucun effet néfaste n’a été mis en évidence. Ces tissus sont inoffensifs!

Il paraît vraisemblable que ces accessoires très tendance aient davantage d’impacts psychologiques que physiologiques. Les attentes de ce que ces vêtements sont supposés accomplir peuvent influencer les résultats d’une performance. Plus que l’action d’une matière miraculeuse, ce sont donc les espoirs qui lui sont associés qui agiraient favorablement. Billy Sperlich, de l’Université de Würzburg (Allemagne), auteur d’une des études, en déduit logiquement: «Depuis que nous savons que les croyances sont des boosters de performance, je recommanderais de tels vêtements à des personnes qui croient à leurs vertus».

Cerise sur le gâteau, la perspective d’une amélioration du QI des sportifs se profile. Une étude menée par des chercheurs australiens a montré que les cyclistes en combinaison compressive prennent des décisions tactiques plus judicieuses durant la compétition. La compression du corps entier stimulerait la circulation cérébrale ainsi que les fonctions cognitives.

Peu lus par les principaux intéressés, les résultats de ces travaux de recherche ne viennent pas dissuader le sportif friand d’innovation de se muer en «homo compressus». Idem pour le message de Swiss Olympic: l’association faîtière a tenu à relever qu’aucune preuve scientifique n’était venue prouver les prodigieux effets supposés de ces vêtements. Son porte-parole, le médecin du sport Patrick Noack, n’en dissimulait pas moins qu’il portait de temps en temps des chaussettes compressives: «grâce à elles, je n’ai pas les jambes aussi lourdes que d’habitude en fin de journée». Il appartient de toute évidence aux 50% de personnes qui trouvent agréable le fait d’être pris en étau. 20% y sont par contre franchement allergiques et 30% se disent indifférents.