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Rétropédaler sur la frontière

Attentats de Bruxelles, velléités martiales des ministres UDC: sur la question migratoire, la cacophonie s’installe au Conseil fédéral.

Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Pas besoin de relire Musset ou la Logique d’Aristote pour s’en persuader. On pourrait croire, s’agissant d’une frontière, que ce même et vieux principe de non-contradiction s’applique avec la même évidence. C’est mal connaître la complexité du phénomène migratoire. C’est sous-estimer la force d’inertie du Conseil fédéral.

Deux jours avant les attentats de Bruxelles, la presse dominicale l’assurait: le général Parmelin et son prédécesseur mais toujours collègue au gouvernement et de parti, l’argentier Maurer, fomentaient de fermer les frontières, et même, en cas de besoin, d’y envoyer l’armée pour repousser une envahissante et encore putative cohorte de migrants. L’été sera bientôt là et le migrant, allez savoir pourquoi, préfère envahir par beau temps plutôt que sous des tempêtes de neige. L’UDC confirmait d’ailleurs, par son président, être au courant de la mâle détermination de ses deux ministres.

Deux jours après les attentats, alors pourtant que les appels sécuritaires fleurissaient comme cerisiers au Japon, en nettement moins poétique, qu’apprenait-on? Que tout cela n’était que pipeau et gazouillis de linotes.

C’est le porte-parole du gouvernement, le montheysan André Simonazzi, qui le dit tout clair et tout net: «Il n’est pas question de fermer les frontières». Sauf que le général Parmelin de son côté n’entend pas non plus la laisser complètement ouverte. «Par les temps qui courent», semble lui commander sa prudence toute vaudoise, «on ne peut écarter aucune hypothèse».

Supposons donc avec le général, juste un instant, pour rire, ou pour le délicat plaisir de se faire un peu peur, que, allez, soyons fous, «la situation vienne à se dégrader». C’est bien simple. On ne ferme toujours pas les frontières, non, non: on «canalise», c’est tout à fait différent.

Et quand le général Parmelin parle de canaliser, il veut dire empêcher «les flux migratoires de pénétrer de façon incontrôlée en Suisse». Et plus fort et plus impitoyable encore, de «les diriger là où on peut vérifier si ce sont des gens qui ont droit à l’asile ou s’ils présentent un risque pour la sécurité».

En voilà une trouvaille: «là où». Une habile façon d’esquiver le débat sur la porte ouverte ou fermée, sur le dedans ou le dehors. Le philosophe Michel Serres s’était longtemps interrogé, jadis, devant une case du «Crabe aux pinces d’or» montrant Tintin penché jusqu’à la taille par un hublot du paquebot Karaboudjan: le petit reporter se trouvait-il dans ou hors du bateau? Une question à ne pas négliger quand il s’agit d’évaluer si oui non la barque est pleine.

L’argentier Maurer à son tour s’est essayé au rétropédalage apaisant. Mais non voyons, il n’a jamais été question d’envoyer l’armée aux frontières. D’ailleurs «impossible de contrôler 700 000 personnes par jour». 700 000! Voilà qui rassure. On suppose qu’il s‘agit du nombre de personnes franchissant quotidiennement cette satanée frontière. Donc pour la femerture, c’est méchamment mal parti.

Le président du Parti socialiste (PS) Christian Levrat a bien raison de se moquer de ces atermoiements — un pas en avant, deux en arrière — des ministres UDC sur les questions sécuritaires. De tourner en dérision cette façon qu’ils ont de «faire de grands moulinets avec leurs petits bras».

Surtout que sa vision à lui, Levrat, risque de terroriser les semeurs de carnage: «Il faut maintenir une juste équilibre entre nos libertés et la réponse sécuritaire». Voilà qui pourrait bien anéantir les djihadistes en puissance. Morts de rire.