LATITUDES

La télépathie 2.0, rêve ou menace?

Echangera-t-on demain des messages télépathiques sur le Net? Le projet de Marc Zuckerberg suscite des réactions contrastées.

La dernière fois que j’ai téléphoné à Michel, un copain, il m’a laissé entendre que nous pourrions être engagés comme cobayes chez Facebook. Surprise, je lui demande pourquoi. «C’est la Xème fois que tu m’appelles alors que je pensais précisément à toi. Il y a transmission de pensée, un phénomène qu’explore depuis peu Marc Zuckerberg», m’explique-t-il.

Quid de ce nouveau défi qui avait échappé à mon attention? Le 30 juin dernier, au cours d’une séance de questions-réponses avec des utilisateurs de son réseau social, le CEO de Facebook évoquait son rêve: «Un jour, je crois que nous serons en mesure d’envoyer directement à d’autres personnes des pensées grâce à la technologie. Il suffira de penser à quelque chose et vos amis pourront immédiatement en être informés». Un projet somme toute modeste, confronté à l’ambition de Google qui promet l’immortalité.

Ainsi, après l’échange de messages écrits, de photos et de vidéos, la communication de demain devrait voir l’échange de pensées se substituer à celui des mots et des images. Avant Zuckerberg, Kevin Warwick, le célèbre professeur britannique de cybernétique, affirmait, en 2004 déjà, que la télépathie constituait l’avenir de la communication et qu’il serait possible d’envisager la greffe d’une puce électronique dans le cerveau à partir de 2015. Une hypothèse qui ne s’est pas concrétisée. Mais le sera-t’elle un jour?

C’est en 1882 qu’apparaît en Angleterre le terme «télépathie». Il décrit la transmission de pensées ou de sentiments par un autre moyen que les cinq sens. Au siècle passé, Soviétiques et Américains ont initié maintes recherches visant à en faire usage, essentiellement à des fins militaires. L’histoire des tentatives et des échecs de manipulation de l’esprit, de «mind control», constitue un long et palpitant feuilleton.

Les nouvelles technologies rencontreront-elles davantage de succès? Zuckerberg s’est bien gardé d’évoquer la voie qu’il pensait pouvoir emprunter pour parvenir à ses fins. Mais d’autres sont en piste. Sur la «Hype Circle» de Gartner, le «brain-computer interface» se situe parmi les technologies prometteuses, sans concrétisation au cours de la prochaine décennie. Quant aux spécialistes d’ingénierie biomédicale et de neurosciences, malgré quelques résultats probants de connexion de cerveau à cerveau, ils demeurent sceptiques.

A leurs yeux, la complexité de la pensée est sous-estimée. Pour Andrea Stocco de l’Université de Washington, qui est parvenu en septembre dernier à établir une connexion à distance entre deux cerveaux grâce aux ondes cérébrales, interpréter des signaux est une chose, décoder une pensée en est une autre. C’est, semble-t-il, du côté de la physique quantique que se dresseraient les perspectives les plus intéressantes.

L’enthousiasme et les dollars du fondateur de Facebook permettront-ils de donner tort aux sceptiques? Si tel ne devait pas être le cas, faudrait-il y voir une grande perte pour l’humanité? La lecture du délicieux polar «Ils savent tout de vous» (paru récemment aux éditions Liana Levi) immerge les lecteurs dans l’univers de la télépathie en orientant la réponse à la question ci-dessus. Son auteur, l’Américain d’origine écossaise, Iain Levison permet de se glisser dans la peau de deux télépathes, un flic et un tueur. Confronté aux implications de cette faculté, on est pris de vertige. Gain au poker et relations amoureuses facilités mais aussi interventions miraculeuses dans des relations internationales ou de négociations commerciales. Snowe et Denny, les héros, commencent par se réjouir de la puissance conférée par leur don avant de subir une douche écossaise! L’intrigue, d’une actualité brûlante, tient en haleine.

«Aimeriez-vous être télépathe?», «Mon Dieu, non», est la réponse donnée par Levison lors d’une interview. Pour lui, la télépathie est une menace à l’heure où le cerveau demeure l’unique endroit sans surveillance.

Derrière le discours de Facebook relatif aux échanges entre amis qui seraient facilités avec la télépathie 2.0, se cache un dessein moins philanthrope: monnayer à des entreprises le cerveau et les désirs de consommateurs manipulables à merci.