Les forfaits fiscaux sont essentiellement une spécialité latine. Un particularisme moins glorieux que les autres à défendre face à la majorité alémanique.
Nous a-t-on assez bassiné avec ça. Le röstigraben. D’un côté les odieux Suisses-Allemands, qui votent toujours à tort et à travers: pour des caisses multiples, pour l’armée unique, contre les étrangers, pour l’anglais à l’école, contre le français, contre l’Europe. De l’autre, les valeureux, les immenses, très progressistes, éclairés et généreux Romands, qui font et pensent, eux, tout le contraire.
Tout dépend pourtant de quels röstis on parle. Une carte, publiée par «24 heures», devrait ainsi inciter les welches et leurs amis à bomber un peu moins le torse: celle où apparaît en rouge vif les cantons dans lesquels la pratique contestée et contestable du forfait fiscal s’avère «intensive». Un bloc qui suit très exactement la frange sud du pays: Genève, Vaud, Valais et le Tessin.
Toute la Suisse allemande se retrouve en bleu clair -pratique «épisodique »- ou en bleu foncé – forfaits abolis, comme à Zurich, Schaffhouse, les deux Bâle et Appenzell Rhodes-Extérieures. A l’exception de Berne et des Grisons, en rouge clair: pratique «légère». Il faut donc constater que le forfait fiscal est d’abord une pratique de latins et accessoirement de montagnards.
Lors du lancement de la campagne du non à l’initiative de la gauche et des syndicats préconisant l’abolition des forfaits fiscaux, qui a-t-on retrouvé aux avant-postes? La grisonne Eveline Widmer-Schlumpf, pour le Conseil fédéral, née et habitant toujours à Felsberg – littéralement «la montagne de rochers». Ainsi que le valaisan Maurice Tornay, pour les cantons, né et habitant toujours à Orsières dans le val d’Entremont, et dont la fiduciaire, célèbre pour avoir de longues années durant révisé les comptes de Giroud Vins, s’appelle Alpes Audit.
La première invoque deux forts arguments en faveur du maintien des biens nommés forfaits: «Cette initiative est dangereuse pour l’attractivité de la Suisse et viole la souveraineté des cantons». On pourra lui rétorquer que les concessions, faites à la va-vite selon certains, par la ministre des finances, donc elle-même, aux Allemands, Américains, Anglais et autres Français sur la question du secret bancaire et des échanges d’informations, risquent d’être autrement «dangereuses pour l’attractivité de la Suisse». Quant à la souveraineté des cantons, c’est un argument qui sert pour tout et pour rien, et ne peut pas tout justifier.
Que fera Eveline Widmer-Schlumpf le jour où un canton s’avisera d’autoriser la pédophilie ou de rétablir la peine de mort? La volonté des Etats souverains du Sud de maintenir l’esclavage n’a-t-elle pas fini en guerre de Sécession?
L’expert fiscal Tornay reste lui dans son domaine et prévient que l’abolition des forfaits fiscaux déboucherait pour les cantons sur des pertes financières importantes. Certes depuis que Zurich a aboli les forfaits, 97 des 201 personnes au bénéfice de ce statut particulier ont mis les voiles. Mais si l’on admet que trop d’impôt tue l’impôt, on pourrait aussi imaginer qu’à la longue une fiscalité inéquitable finisse par tuer la fiscalité.
Certes aussi l’administration fédérale a calculé que 22500 postes de travail étaient plus ou moins liés à l’existence des forfaits fiscaux, essentiellement dans la construction et l’immobilier. Avant d’ajouter toutefois, de façon un peu rapide, que ces gens-là «pourraient trouver du travail dans un autre domaine».
Maurice Tornay saisit l’argument et proclame que le forfait fiscal, loin de n’être qu’un impôt, s’avère aussi «un moyen de promotion économique important de Genève à l’Engadine». Romands, Romanches, unissez-vous contre le prochain risque de dictat de la majorité alémanique, programmé pour le 30 novembre. Le fait que le combat soit moins glorieux cette fois, n’en rendrait sûrement pas la défaite moins amère.