GLOCAL

La patrie en danger? Faut voir…

Débattre de très éventuelles menaces djihadistes contre la Suisse peut avoir deux avantages. Se faire peur à bon marché et se sentir exister.

Donc la Suisse aussi est menacée. C’est une enquête du Tagesanzeiger, reprise par Le Matin, qui l’insinue en révélant — information non confirmée par les pouvoirs publics — l’arrestation ce printemps de trois Irakiens qui fomentaient un attentat sur le territoire confédéral.

Certes les arguments recueillis auprès d’éminents spécialistes sentent un peu le flou. Avec en arrière-fond, comme un désir de se faire peur, ou même de se rendre intéressant. Se retrouver comme cible de l’Etat islamique semble conduire chez nous à deux sentiments.

Un de dépit: c’est bien la peine d’être si discret, tellement neutre, pour se voir propulser, comme de vulgaires américains ou d’arrogants français, dans l’œil du cyclone djihadiste. L’autre, de fierté déguisée: si nous aussi, citoyens d’un pays tellement atypique qu’il en devient improbable, sommes aussi visés par la vindicte islamiste, c’est bien la preuve au moins que nous existons. Mieux, que nous ne sommes pas ces extraterrestres congelés dans une bulle loin de la fureur du monde.

La fierté et presque le soulagement de ne plus être ces indigènes insulaires souvent brocardés pour leur frilosité et leur insensibilité, se sentirait presque dans cette conclusion d’un éditorialiste du Matin: «Nous sommes des infidèles comme les autres.» Ouf, en somme.

Tant pis si Jean-Paul Rouiller, directeur du centre genevois d’analyse du terrorisme, remarque qu’à la date de l’arrestation des présumés terroristes — mars dernier — «il est peu vraisemblable que l’Etat islamique ait eu l’intention de viser la Suisse».

L’autre bonne nouvelle générée par cette sombre affaire, c’est que l’arrestation du fameux trio a été possible grâce à des informations transmises à nos services secrets par «un pays ami». C’est donc que nous avons encore des amis. Certitude qui avait fini par s’effilocher. On pourrait là aussi, en poussant un peu, remercier les méchants islamistes. C’est peut-être bien parce nous étions soudain sous leur menace, qu’un pays est devenu ou redevenu notre «ami».

Reste que les arguments avancés pour affirmer que la Suisse serait devenue une cible comme les autres ne convaincront que les convaincus. Qu’on juge. La Confédération pêcherait d’abord par excès de naïveté face à la menace islamiste. Elle ne serait ensuite plus assez neutre pour être protégée, la pression internationale l’ayant obligée avec les années à se montrer plus sélective à l’égard de certains pays, ressortissants ou fonds d’investissements liés au terrorisme. A quoi s’ajouterait un vote anti-minarets resté en travers de la gorge des fous du Coran.

Plus sérieux: la Suisse aussi a ses djihadistes, partis faire le coup de feu en Syrie ou en Irak, et dont le retour au pays pourrait s’avérer, disons, explosif. Mais bon, ils ne seraient à ce jour qu’une vingtaine. Enfin la Suisse internationale — tremble, Genève, tremble — pourrait représenter un objectif suffisamment attractif. Rien de bien concret ni d’étayé, on le voit.

Pendant ce temps, dans cette Suisse naïve, le Conseil national a débattu de la fin du système des jours-amendes, optant pour la liberté désormais laissée aux juges de l’appliquer ou non. La possibilité de jours-amendes avec sursis en revanche a été maintenue, malgré les protestations de l’UDC qui ne voit dans cette sanction, non sans raison, qu’une forme pure et simple d’impunité.

Un système des plus contestés, ces jours-amendes dont la droite, depuis le début, dénonce le laxisme crasse. Pourtant, c’est un peu le même principe que celui utilisé par les preneurs d’otages islamistes, non? La liberté contre le pognon. Pour la décapitation avec sursis, en revanche, il faudra repasser.