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“La crise de l’euro, une tragédie pour la science”

La science européenne doit faire face à la concurrence toujours plus vive des pays émergents. L’ancienne présidente du Conseil européen de la recherche Helga Nowotny livre ses craintes et espoirs.

La montée en puissance de pays tels que la Chine et le Brésil reconfigure le paysage scientifique mondial. Quelle sera la place de l’Europe?

Même si l’Europe maintient son effort actuel pour la recherche, sa présence dans les publications scientifiques va logiquement diminuer. L’ancienne domination américaine, européenne et japonaise va laisser la place à un paysage scientifique plus éclaté. Dans des régions telles que l’Asie du Sud-Est notamment, les investissements consacrés à l’innovation se traduisent déjà en une augmentation du nombre de chercheurs et de publications.

D’un autre côté, la qualité globale de la science européenne reste très élevée. Des pays tels que le Royaume-Uni investissent massivement dans les sciences de la vie et dans le secteur biomédical, ce qui contribue à maintenir la position de l’Europe comme plaque tournante de la science. Mais il reste de grandes disparités entre pays membres de l’Union européenne. La vision d’un espace européen de la recherche n’est de loin pas encore réalisée.

Quel impact a eu la crise de l’euro sur la science, en particulier dans les pays du sud de l’Europe?

La Grèce, l’Espagne et le Portugal ont été très durement touchés. On peut parler de tragédie pour la science, notamment pour les perspectives de carrière des plus jeunes générations, qui doivent soit quitter leur pays, soit mettre un terme à leur carrière. Il faut renforcer l’Espace européen de la recherche, ce qui permettra davantage de flexibilité et de mobilité, et donnera aux jeunes chercheurs l’opportunité de retourner dans leur pays d’origine, une fois la situation améliorée.

L’Europe reste à la traîne dans la valorisation économique de la recherche, notamment dans la création de startup. La politique peut-elle agir sur ce point?

Il faut souligner que l’Europe dispose de bien moins de capital-risque que les Etats-Unis. Par ailleurs, il a fallu des décennies pour mettre en place un brevet européen, et les obstacles bureaucratiques à la création de startup restent sidérants dans certains pays. De plus, les Etats-Unis connaissent une certaine «culture de l’échec»: l’échec est accepté et même attendu dans le cadre de l’innovation, alors qu’il est mal vu en Europe, voire pénalisé. Il est urgent de changer de mentalité. Les gouvernements peuvent contribuer à faciliter l’accès au marché et à intensifier les relations entre universités et entreprises. Mais au final, un changement de culture ne peut pas être imposé par le haut. Il doit émerger de la base, et en premier lieu des jeunes générations de chercheurs. Nous devons tout faire pour encourager leur esprit d’entreprise.

L’Union européenne aime les grands programmes scientifiques très visibles. Faut-il davantage de financements «bottom-up» attribués à des projets de recherche individuels?

Le Conseil européen de la recherche (ERC) va continuer à fournir d’amples possibilités de financement. Il constitue 17% du budget total d’«Horizon 2020», le prochain programme européen pour la recherche et l’innovation, qui est lui-même en hausse d’un tiers par rapport au précédent plan. C’est une forme de reconnaissance des succès passés et augure d’un futur prometteur. Les initiatives venues de la base vont être renforcées.
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La sociologue des sciences

Helga Nowotny est professeure émérite d’ETH Zurich. L’Autrichienne est aussi membre fondatrice du Conseil européen de la recherche (ERC), dont elle a été la vice-présidente dès 2007 et la présidente de 2010 à 2013. En janvier 2014, elle a été nommée à la tête du «ERA Council Forum Austria» de Vienne, un groupe d’experts scientifiques actif auprès du Ministère autrichien de la science et la recherche.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 1/2014).