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Un diamant avec les cendres d’un défunt

La firme grisonne Algordanza transforme les cendres des crémations en diamants depuis une dizaine d’années. Elle connaît un immense succès international.

La bague dorée est surmontée d’un carré déstructuré. Au milieu trône un diamant bleu-gris. Le design est moderne, presque audacieux. «Mon mari serait ravi s’il pouvait se voir ainsi», commente Uschi Völker, une cliente d’Algordanza, sur le site de la firme grisonne. Le diamant qui orne son bijou a en effet été fabriqué à partir des cendres de son époux. «Nous transformons le carbone contenu dans les restes du défunt en graphite, explique Rinaldo Willy, l’un des cofondateurs de l’entreprise basée à Domat/Ems. Celui-ci est ensuite chauffé à plus de 1300 degrés et soumis à une pression de 55 gigapascals, ce qui le métamorphose en diamant.»

Le procédé, développé dans les années 1950, est le même que celui utilisé pour générer des diamants synthétiques. «La création d’une pierre prend trois mois en moyenne, précise-t-il. Mais plus on attend, et plus elle sera grande.» Algordanza -– qui signifie «souvenir» en romanche — propose des gemmes allant de 0,25 carat (4789 francs) à 1 carat (21 890 francs). Ses clients peuvent y faire inscrire un message, de 75 caractères maximum, visible uniquement au microscope.

Plusieurs pierres par défunt

«Il faut au minimum 500 grammes de cendres pour produire un diamant, et la crémation du corps en génère environ 2,5 kilos, poursuit Rinaldo Willy. On peut donc produire plusieurs pierres à partir d’un seul défunt, si différents membres de la famille en veulent.» La couleur du diamant oscille entre le blanc et le bleu foncé, en fonction du mode de vie – en ville ou à la campagne, prise de médicaments, alimentation – de la personne décédée.

Fondée en 2004 par Rinaldo Willy, un jeune employé de la Banque Cantonale des Grisons âgé à l’époque de 23 ans, et Andreas Wampl, son professeur d’informatique à la Haute Ecole de technique et d’économie de Coire, Algordanza a connu une croissance vertigineuse. «Nous sommes passés de 2 à 66 employés, indique Rinaldo Willy. Nous avons entre 700 et 800 clients par an.» La société vient d’acheter une nouvelle presse et d’agrandir ses locaux, situés sur le site de l’entreprise Ems Chemie. Elle exporte dans 23 pays, sur trois continents. «Près de 90% de nos diamants sont exportés, surtout vers l’Allemagne, le Japon, l’Autriche et Hongkong», note Rinaldo Willy, qui n’hésite pas à mettre en avant le label Swiss made de ses produits.

La clientèle d’Algordanza est majoritairement composée de femmes. Elles ont souvent été confrontées à la mort subite d’un être cher, comme leur époux ou un enfant. «Les rites funéraires ont normalement pour fonction d’aider les proches à se séparer du défunt en instaurant une distance», fait remarquer Patrick Baudry, professeur de sociologie à l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux et spécialiste de la mort. «Ici, on cherche au contraire à le retenir ad aeternam parmi les vivants, à se raccrocher à lui en le matérialisant sous la forme d’un support physique.» Yvonne, une Allemande qui a perdu son fils de 14 ans dans un accident de la route et a fait appel aux services de la firme grisonne, témoigne: «Mon fils est désormais de retour à la maison, là où il appartient. Je l’ai en permanence auprès de moi.»

Le succès d’Algordanza reflète aussi quelques particularismes locaux. Au Japon, l’accent mis sur le culte des ancêtres par les religions shintoïste et bouddhiste explique l’engouement des citoyens de ce pays pour les diamants funéraires. «Nous avons aussi beaucoup de catholiques parmi nos clients qui, contrairement aux protestants, ne trouvent pas étrange de célébrer leurs morts et ont une longue tradition de reliques», précise Rinaldo Willy.
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TEMOIGNAGE

«J’avais promis à mon mari que nous serions toujours ensemble»

Jacqueline Angel était hantée par une promesse faite à son mari, peu avant sa mort. «Je lui avais juré que, quoi qu’il arrive, nous serions toujours ensemble», raconte la Biennoise de 67 ans. Mais lorsqu’il décède d’un cancer, elle se rend rapidement compte qu’elle ne peut pas prendre l’urne avec les cendres de son époux partout avec elle. «Je suis alors tombée, un peu par hasard, sur Algordanza, et j’ai décidé de faire appel à leurs services, se souvient-elle. Ce n’était pas une décision anodine. Lorsque l’on franchit ce pas, cela a une signification profonde. On ne le fait que si l’on a intensément aimé la personne.»

Lorsqu’elle reçoit le diamant, elle commence par le garder tel quel. Mais au bout d’un an, elle décide de le sertir. «J’ai fait fondre nos deux alliances pour créer un anneau en or rouge, qui contraste avec le bleu ciel du diamant. » Elle le porte en permanence. «Je ne sais pas ce que je ferais si je l’égarais, ce serait comme perdre une partie de moi-même. » Elle a préservé une part des cendres pour que son fils «ait lui aussi quelque chose de son père». Elle ne regrette pas son choix: «Je suis heureuse d’avoir pu tenir la promesse faite à mon mari.»
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Diamant jeté à la mer… ou enterré

La mort d’un proche est une expérience intensément personnelle, vécue de façon très diverse. Rinaldo Willy, le cofondateur d’Algordanza, a de nombreuses anecdotes, certaines poignantes, d’autres drôles: «Un homme nous a demandé de transformer sa femme décédée en diamant, puis l’a jeté à la mer. Elle voulait faire appel à nos services et lui voulait que ses cendres soient dispersées dans les flots, ils ont fait un compromis par-delà la mort.» La firme a aussi été contactée par un homme, d’origine arabe, qui voulait transformer en diamant les cendres de son chameau (Algordanza refuse les demandes liées aux animaux). Ou encore par un couvent de bénédictins qui voulait faire une commande groupée pour remplacer ses stèles de marbre, trop gourmandes en place.

Plus triste, un veuf a très mal vécu le fait que le diamant créé à partir des cendres de sa femme soit bleu foncé, alors qu’elle avait une personnalité «pure et claire». Parfois, les demandes émanent des mourants eux-mêmes: «Un paysan s’est adressé à nous peu avant sa mort et nous a demandé de le transformer en diamant puis de l’enterrer sur ses terres. Il espérait que quelqu’un le découvre un jour et soit agréablement surpris.»
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Une version de cet article est parue dans Le Matin.